Institué par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans une décision « Costeja c/ Google Spain » rendue en date du 13 mai 2014, le droit à l’oubli constitue une création juridique « sui generis ». Bien que ce droit ait été créer à l’occasion d’une décision rendue contre « Google », il n’en a pas moins vocation à s’appliquer à l’ensemble des moteurs de recherche. Ainsi, depuis cet arrêt, et en vertu de ce droit à l’oubli, quiconque peut s’adresser à un moteur de recherche afin que celui-ci supprime les liens contenant l’information que l’on souhaite voir retirée (l’information pouvant s’entendre comme une image, du texte etc.). Cette création, certes très ambitieuse sur le papier, s’avère très complexe à mettre en œuvre en pratique…

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Source : www.lemondeinformatique.fr

 
Historique et contenu du Droit à l’oubli
Avant cette décision « Costeja c/ Google Spain », la seule base juridique sur lequel pouvait se fonder un internaute français pour faire retirer du contenu informatique le concernant était la loi informatique et liberté de 1978. Cependant les conditions à remplir pour faire jouer cette loi étaient telles qu’en pratique elle ne permettait pas réellement le retrait du contenu en question. C’est dans ce contexte que la Cour de Justice de l’Union Européenne a interprété favorablement pour les internautes la directive 95/46/CE sur la protection des données personnelles, en consacrant le droit à l’oubli. Ainsi, depuis cette décision, et conformément aux positions qu’avaient adopté antérieurement la CNIL à ce sujet, « une personne peut s’adresser directement à un moteur de recherche pour obtenir la suppression des liens vers des pages web contenant des informations portant atteinte à sa vie privée », sans que celle-ci n’ait à s’adresser préalablement à l’éditeur du site Internet.
Cependant, le droit à l’oubli, bien qu’étant considéré par une partie de la doctrine comme une petite révolution juridique, n’en est pas pour autant un droit absolu. En effet la suppression des données dont il est ici question doit être appréciée au cas par cas par le moteur de recherche, selon un certain nombre de critères tels que la nature de l’information, sa sensibilité pour la vie privée de la personne concernée etc. Malgré cela, le droit à l’oubli a connu un succès important auprès des internautes puisqu’il a été massivement invoqué par ceux-ci depuis sa création (environ 17 000 demandes adressées à Google 4 mois après la décision de la CJUE, rien que pour la France).
Ce droit à l’oubli apparaît ainsi, d’un point de vu théorique, comme un droit novateur et puissant, mais qu’en est-il réellement dans sa mise en œuvre factuelle?
 
Une application complexe du Droit à l’oubli
Bien que son contenu soit conséquent, il ne faut pas surestimer l’efficacité concrète de ce droit à l’oubli. En effet, il n’a vocation à s’appliquer qu’au site à qui l’on a adressé la demande de retrait ; ainsi, si les informations que l’on souhaite voir retirées par application du droit à l’oubli ont été dispersé sur plusieurs sites web, comme c’est le plus souvent le cas sur internet, il peut devenir extrêmement complexe à mettre en œuvre. Dans un tel cas, le droit à l’oubli apparaît inadapté à la réalité des pratiques informatiques alors même qu’originairement il a vocation à réguler celles-ci…
Qui plus est, l’on peut se heurter à une autre difficulté dans l’application du droit à l’oubli, qui est l’impossibilité de rétroagir. Autrement dit, le droit à l’oubli n’ayant vocation à s’appliquer que pour le futur, les dommages qui ont pu être causé par l’existence des publications litigieuses ne pourront pas être réparés. D’autant que seule est envisagée, par l’application de ce droit, la possibilité de supprimer l’accès au contenu, et non le contenu lui-même, ce qui permet certes de limiter les dommages futurs, mais ne garanti pas leur disparition totale. Or, lorsque l’on connaît le caractère viral d’Internet, l’on perçoit rapidement que l’oubli souhaité par ce droit n’est pas total et dépend en réalité des circonstances entourant les faits.
Enfin, il faut préciser que l’application de ce droit à l’oubli se confronte à une difficulté supplémentaire, et non des moindres, en raison du caractère mondial d’Internet. En effet, ce caractère rend la mise en œuvre du droit à l’oubli encore plus complexe qu’elle ne l’est déjà, ce que reflète notamment le récent refus de « Google » d’appliquer ce droit sur toutes ses versions et de le cantonner uniquement à ses versions européennes. Bien que cela soit sanctionner par la CNIL, le moteur de recherche le plus utilisé au monde ne semble pas avoir l’intention de modifier ses positions à ce sujet, ce qui traduit une fois de plus la complexité de mise en œuvre de ce droit.
Ces contraintes techniques ont poussé certains auteurs à dire qu’il s’agirait plus d’un droit au déréférencement qu’un réel droit à l’oubli. En effet le terme d’oubli suggère qu’une fois que l’internaute fait application de ce droit, les informations qu’il souhaitait voir supprimées sont intégralement détruites du site, comme si celles-ci n’avaient jamais existé. Or, au vu de ce qui a été dit précédemment, l’on s’aperçoit que seule est prévu par ce droit la possibilité de supprimer les liens permettant d’accéder au contenu et non le contenu lui-même, et dès lors le terme de déréférencement, bien moins fort que celui d’oubli, semble plus approprié à la réalité d’application de ce droit.
 
Vers un droit à l’oubli renforcé pour les mineurs
Malgré le fait que le droit à l’oubli ne soit pas pleinement efficient, et constitue d’avantage un droit au déréférencement, il rencontre un franc succès auprès des internautes, au point que d’autres dérivés de ce droit commencent à germer dans l’esprit du législateur, ce que l’on peut notamment constater à l’article 19 du projet de loi pour une République numérique. En effet cet article souhaite consacrer un droit à l’oubli renforcé à l’égard des mineurs, en leur permettant de solliciter l’hébergeur d’un site pour qu’il supprime définitivement du contenu qu’ils jugent compromettant, et ce, dans des conditions plutôt souples. Cette proposition ambitieuse s’inspire de la législation Californienne, où un tel droit à l’oubli des mineurs existe déjà par application de l’« erase law ».
Bien que ce projet soit plutôt bien accueilli par l’opinion publique, il faut néanmoins préciser que celui-ci est entièrement dépendant du projet de règlement européen sur la protection des données personnelles qui est actuellement en cours de négociation. Malgré cette réserve, si un tel droit à l’oubli renforcé pour les mineurs venait à entrer en vigueur en France, il pourrait constituer une nouvelle révolution juridique en la matière. D’autant que si sa mise en œuvre s’avérait être efficiente, l’on pourrait tout à fait imaginer une extension de ce droit renforcé pour les mineurs à l’ensemble des internautes afin que ces derniers bénéficient d’un réel droit à l’oubli (c’est à dire d’une suppression totale des données), et non d’un simple droit au déréférencement tel qu’il existe actuellement…

WYWYDRA_Alexis_PHOTO_2015DRA Alexis

Étudiant en Master 2 de Droit de l’Économie Numérique à la Faculté de Droit, de Sciences Politiques et de Gestion de Strasbourg, et membre actif de l’association MédiaDroit.

 

A propos de Alexis Wydra