Justice prédictive : Une avancée technologique ou la mort de l’équité judiciaire ?
En raison du développement de l’intelligence, les institutions judiciaires à travers le monde s’intéressent à la justice prédictive. Notamment grâce à l’analyse de données juridiques, cette technologie a pour objectif de transformer la façon dont les décisions judiciaires sont rendues en permettant d’anticiper les jugements. Mais entre gain d’efficacité et risque de déshumanisation, les enjeux posés par cette innovation technologique soulèvent d’importantes questions éthiques et juridiques.
L’affaire Loomis aux États-Unis
En 2016, un citoyen américain du Wisconsin, Eric Loomis est condamné à six ans de prison après que le logiciel COMPAS a jugé qu’il présentait un risque élevé de récidive. Ce logiciel, utilisé par les tribunaux américains, repose sur un algorithme d’intelligence artificielle qui analyse des données telles que les antécédents criminels et les caractéristiques démographiques.
L’accusé a contesté cette décision, arguant que le système était biaisé et qu’il ne comprenait pas les critères précis sur lesquels reposait son évaluation. Il a dénoncé une violation de son droit à un procès juste, tel qu’il est stipulé dans la Constitution américaine. Cet exemple illustre clairement la contradiction entre la technologie et les droits fondamentaux.
Que dit le droit en France ?
En France, on envisage également l’utilisation de la justice prédictive, notamment à travers des outils tels que Doctrine, Predictice ou Lexbase. Ces plateformes étudient des millions de jugements afin de repérer des tendances et évaluer les chances de réussite d’une affaire.
L’utilisation de telles technologies est encadrée par plusieurs textes juridiques, notamment :
- L’article 10 du Code civil stipule que les jugements doivent être rendus de façon publique et transparente. Les algorithmes sont fréquemment considérés comme des « boîtes noires », avec des critères d’analyse qui demeurent obscurs et flous.
- Le Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui impose une protection rigoureuse des données personnelles, un enjeu crucial lorsqu’il s’agit de collecter et d’analyser des informations sensibles pour produire des prédictions.
La France a aussi interdit la publication de statistiques nominatives sur les juges ou magistrats (loi de 2019 sur la réforme de la justice), afin de prévenir toute forme de pression ou de discrimination.
Des avantages indéniables mais à quel prix ?
La justice prédictive présente des avantages évidents :
- Efficacité : Elle peut aider les avocats et les juges à mieux comprendre les précédents juridiques et à anticiper les décisions.
- Accessibilité : Les justiciables pourraient bénéficier d’un meilleur accès au droit grâce à des outils simplifiés.
- Uniformisation des décisions : Elle pourrait réduire les disparités entre jugements similaires.
Cependant, les risques sont tout aussi importants :
- Les Biais : Les algorithmes reproduisent souvent les biais humains présents dans les données d’entraînement. Dans l’affaire Loomis, des études ont montré que COMPAS avait tendance à surévaluer le risque de récidive pour les minorités ethniques.
- L’atteinte à l’autonomie : En ayant un impact sur les décisions judiciaires, ces outils peuvent entraîner une réduction du rôle des juges à celui d’exécutants numériques.
- La déshumanisation de la justice : Le droit n’est pas une science exacte, mais une discipline où les subtilités humaines jouent un rôle crucial.
Une réflexion éthique nécessaire
Comme l’a souligné la juriste Mireille Delmas-Marty, « la justice ne peut être réduite à un calcul. Elle repose sur des principes d’humanité et d’équité, qui échappent à toute modélisation mathématique. »
Ces outils doivent donc être considérés comme des aides à la décision, et non comme des substituts. Il est crucial que les juges conservent leur libre arbitre et que la transparence des algorithmes soit assurée.
Mon avis : Trouvé le juste équilibre
La justice prédictive, bien que utile, elle ne doit pas devenir un outil décisionnel autonome. Elle peut être utilisée pour éclairer des jugements, mais elle ne peut se substituer au rôle fondamental de l’humain dans le processus judiciaire. Le droit n’est pas seulement un ensemble de règles binaires ; c’est aussi et surtout une quête de justice qui doit intégrer les valeurs humaines.
En définitive, l’IA doit être encadrée par des règles claires et strictes, sous peine de voir les principes fondamentaux du droit sacrifiés au profit de la technologie. L’avenir de la justice ne doit pas être déterminé par des algorithmes, mais par une interaction éclairée entre les outils technologiques et la raison humaine.