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En utilisant les médias sociaux, nous documentons nos existences. Par cette pratique, nos identités numériques deviennent inévitablement parties à notre histoire. Néanmoins, si notre enveloppe corporelle disparaît à la suite de notre mort, le résultat de notre présence en ligne, lui, demeure. 

Réseaux sociaux et héritage virtuel : quand notre identité numérique survit à notre mort

On estime que dans le monde, une personne sur deux utilise des réseaux sociaux. De plus en plus tôt dans leur vie, les individus commencent à s’engager dans des activités numériques. Ainsi, l’interaction avec des contenus numériques est devenue courante, et nos vies sont désormais documentées sur Internet, subsistant même après notre décès. En effet, rien ne disparaît : nos comptes, nos photos, nos publications restent exactement comme on les a laissées. Les fonctionnalités telles que les « souvenirs » sur Facebook nous invitent à visionner la rétrospective de notre passé proche. Ces photos, publications textuelles et commentaires deviennent alors des éléments constitutifs de notre histoire personnelle, formant notre identité numérique.

Nos publications sur les réseaux sociaux sont quasi autobiographiques, étant associées à des dates, des heures, voire des lieux de rédaction. Selon une étude, nous passons en moyenne plus de 12 heures par semaine à écrire notre propre autobiographie en interagissant avec les médias sociaux. Cette activité laisse des traces durables.

Ces tendances numériques ne se limitent pas seulement aux plus jeunes, ce qui amène à une réflexion intéressante : il fut un temps où seuls ceux désireux de présenter leur propre version publique écrivaient leurs mémoires. Cependant, demain, nos petits-enfants pourront nous connaître à titre posthume grâce à nos identités numériques. Ils ne se contenteront pas de découvrir les grands événements de nos vies, mais pourront aussi explorer les détails parfois insignifiants de notre quotidien. Les jeunes générations actuelle, née entre 2005 et 2015, ont largement été façonnées par les réseaux sociaux et les outils numériques. Ces individus deviendront les ancêtres des prochaines générations. Le développement technologique des deux dernières décennies a profondément modifié nos pratiques de consommation et il est évident que pour les générations futures, l’identité numérique jouera un rôle de plus en plus essentiel dans la construction de l’histoire et de la mémoire de nos vies.

 

Un exemple : Facebook, le plus grand cimetière du monde

Les sociologues considèrent que notre utilisation des réseaux sociaux a modifié notre manière habituelle de sociabiliser. Facebook est un exemple emblématique de cette transformation, premier réseau social à avoir dépassé le milliard de comptes enregistré, le réseau social comptait presque trois milliards d’utilisateurs actifs par mois en décembre 2022.

Selon certaines estimations, plus de 8000 utilisateurs de Facebook décèdent chaque jour, faisant de la plateforme un potentiel “cimetière numérique”. Une étude menée par les chercheurs Carl Öhman et David Watson a examiné l’évolution du nombre de profils Facebook appartenant à des utilisateurs décédés au cours du XXIe siècle. Ils ont envisagé deux scénarios :

  • Le premier (scénario A) suppose que Facebook atteigne un palier de nouveaux utilisateurs à partir de 2018 ;
  • Le second (scénario B) envisage une croissance continue de 13% par an jusqu’à atteindre une pénétration de 100% pour chaque pays, année et groupe d’âge.

Dans leur étude, Carl Öhman et David Watson n’essaient pas de prédire l’avenir. Ils utilisent plutôt des données publiques sur les projections de mortalité, par groupe d’âge et par nationalité, et les croisent avec le nombre d’utilisateurs de Facebook répartis par groupe d’âge et par pays. Leur objectif est simplement de déterminer une fourchette estimative du nombre réel de profils d’utilisateurs décédés en combinant deux scénarios différents. Le scénario A établit un plancher pour l’accumulation de profils d’utilisateurs décédés, tandis que le scénario B fournit un plafond.

Les résultats de l’étude indiquent clairement que les profils d’utilisateurs décédés dépasseront en nombre les profils d’utilisateurs vivants sur Facebook dans environ 50 ans, corroborant ainsi les affirmations populaires dans les médias selon lesquelles les utilisateurs vivants deviendront minoritaires sur les réseaux sociaux dans un avenir relativement proche. Selon le scénario A, entre 2028 et 2100, environ 1,4 milliard d’utilisateurs de Facebook décéderont. De ce fait, les chiffres sont significatifs même dans le scénario le plus prudent et Facebook comptera dans tous les cas des centaines de millions de profils d’utilisateurs décédés d’ici quelques décennies, voire plus tôt.

Depuis la publication de l’étude en 2019, la croissance mondiale des utilisateurs de Facebook n’a pas cessé, bien au contraire. Le réseau social ayant d’ailleurs survécu au scandale de grande ampleur Cambridge Analytica, qui n’a finalement pas provoqué de changement significatif parmi les utilisateurs en faveur de la suppression du profil. Néanmoins, si Facebook venait à être dissous soudainement, que ce soit en raison d’une faillite, d’une chute d’utilisateurs ou d’un nouveau scandale, le sujet de l’étude n’en est pas pour autant moins pertinent, à l’inverse puisque l’entreprise pourrait être contrainte de vendre ou de supprimer les données de ses utilisateurs.

Dans les décennies à venir, des centaines de milliers de données seront ajoutés sur les réseaux et médias sociaux. Ces données, ajoutées à celles qui existent déjà, font partie de notre « archive collective en tant qu’espèce, et peuvent s’avérer inestimables pour les générations futures ».

 

Sources :

 

A propos de Karine Munschi

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