représentation d'une femme, visage remplacé par des courbes, et un fond galaxie
Marina Núñez, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Délires de techno-prophètes pour les uns, terrain d’avancées médicales absolument immenses pour les autres, le transhumanisme ne laisse personne indifférent, et tout le monde a peu ou prou sa petite opinion sur le sujet. Cependant, peu de personnes savent réellement quels sont les enjeux du transhumanisme et beaucoup s’inquiètent également de possibles dérives éthiques.

Qu’est ce que le transhumanisme ?

Le dictionnaire Larousse définit le transhumanisme en ces termes : Courant de pensée qui vise l’amélioration des capacités intellectuelles, physiques et psychiques de l’être humain grâce à l’usage de procédés scientifiques et techniques (manipulation génétique, nanotechnologies, intelligence artificielle, etc.). Fait notable pour une encyclopédie, l’article ajoute : Conviction idéologique plus que position solidement argumentée, le transhumanisme est contesté aussi bien d’un point de vue scientifique que d’un point de vue éthique. C’est dire si le sujet est sensible, et la définition, sommaire.

Pour Futura-sciences, le transhumanisme vise à améliorer l’humain dans des domaines variés : physique, mental, via l’usage de technologies. Dans le domaine de la santé, il peut s’agir d’utiliser un exosquelette pour faire marcher une personne tétraplégique, ou encore d’installer une puce pour permettre à une personne lourdement handicapée par la maladie de Charcot d’écrire par la pensée, le but étant ici d’améliorer les conditions de l’Homme. Les défenseurs du transhumanisme sont pour certains partisans du fait de repousser la mort et les limites humaines, créant par ce biais un transhumain dont les capacités seraient améliorées en comparaison de celles des humains actuellement existants. Mémoire prodigieuse, capacités physiques améliorées, organes remplacés ou réparés grâce aux machines et aux nanotechnologies, les promesses sont nombreuses, mais entre incrédules et personnes soucieuses de la dimension éthique, les doutes sur le transhumanisme sont nombreux.

Ses applications possibles au quotidien : tous transhumanistes sans le savoir ?

Qu’il s’agisse de recouvrer une vision nette grâce au LASIK, de pouvoir à nouveau marcher grâce aux prothèses ou d’épargner ses articulations à l’aide d’exosquelettes, le transhumanisme a déjà fait un petit bout de chemin dans nos sociétés, et ce n’est visiblement pas prêt de s’arrêter, générant interrogations et répulsions. Les discours restent cependant unanimes : sans régulation, le transhumanisme et le développement de l’intelligence artificielle est un danger, mais ceux qui alertent sont souvent ceux qui développent et vendent ces technologies : Elon Musk, grand fabricant de systèmes d’IA et de machines utilisant ces dernières, nous dit dans le même temps que « le danger de l’IA est beaucoup plus grand que celui des ogives nucléaires, et personnes ne suggérerait qu’on permette à n’importe qui de fabriquer des ogives nucléaires s’il le souhaite. Ce serait insensé. ». Pourtant, dans le même temps, Musk tente de mettre au point Neuralink, son entreprise censée développer un système de connexion du cerveau à la machine en vue de ne pas se laisser dépasser par l’intelligence artificielle.

Vers des soucis sociaux et éthiques ?

Cette façon de faire banalisant le sujet, elle ne permet pas d’instaurer un véritable débat public qui représenterait une opportunité de remettre en question ces avancées. En effet, du point de vue d’Elon Musk ou encore de Jeff Bezos, il est de leur intérêt de jouer aux pompiers pyromanes. En présentant les IA comme des avancées inéluctables qu’il faudra au mieux, réguler, au pire contrer -de préférence à l’aide de produits qu’ils auront eux-mêmes commercialisé- pour mieux les dépasser, ces dirigeants et chefs d’entreprise dont le fond de commerce est l’IA préparent le marché de demain. Cependant, rassurons-nous : au vu de la complexité du cerveau humain, l’intelligence artificielle n’est pas encore en mesure d’émuler ce dernier. En revanche, elle génère déjà des modifications sur le plan social, induisant le fait que les dérives seront plus que probables, quand dans le même temps, le transhumanisme s’annonce extrêmement intéressant pour les personnes en situation de handicap, principalement pour ce qui touche aux maladies neurodégénératives. Entre annonces extravagantes et réels dangers, il est nécessaire de conserver un certain sens de l’éthique, ce qui mènera assurément à des questions plus sociales.

Prenons l’exemple d’un concours de gardiens de la paix, dans un monde extrêmement semblable au nôtre, avec cependant une différence majeure : le transhumanisme y est bien plus développé et son aboutissement est tel que des « humains augmentés » existent et vivent parmi nous. Au sein de ce concours, un 100m doit être effectué. Ceux possédant des prothèses se fatiguant bien moins vite, leurs scores en ressortent meilleurs. Cela signifie-t-il que tous les prétendants doivent faire remplacer leurs jambes par des prothèses ou se munir d’exosquelettes pour être compétitifs ? A terme, cela ne risque-t-il pas d’être cher et d’exclure encore plus qu’actuellement certaines franges de la population, qui se retrouveraient dès lors cantonnées à leur condition d’humains « normaux », voire, de « sous humains » quand les humains « augmentés » finiraient par être seuls à pouvoir accéder à certains postes ? Cela peut laisser craindre le pire pour une éventuelle ascension sociale et risque fort de renforcer encore davantage les inégalités de classes sociales tout en constituant un terreau fertile pour l’eugénisme.

Ce n’est cependant pas l’avis de tous, à l’instar d’Alexandre Erler, membre du CRE Montréal, le centre de recherche d’éthique. S’appuyant sur d’autres auteurs, tels que Julian Savulescu ou Pieter Bonte, il avance que cette crainte occasionnée par cette possibilité d’améliorer son corps n’est pas différente de la « loterie naturelle », que ces auteurs voient comme profondément inégalitaire. Pour eux, permettre l’accès à ce type d’opportunités permettrait d’entériner la hiérarchie naturelle des talents, servant la justice sociale en permettant aux personnes les moins douées d’atteindre les niveaux des plus chanceux.

Le problème du traitement des données personnelles et la délicate gestion du corps humain

Un dernier problème se pose et il concerne la protection des données personnelles, qui pourrait ne pas être assurée dans le cadre de l’utilisation de ces objets. En effet, ceux-ci risquent fort de relever de l’internet des objets, et la question de laisser un organisme quel qu’il soit, public ou privé, gérer une partie de notre corps pose question. Jusqu’où sommes-nous en tant qu’humains, prêts à aller pour la performance ? Est-il envisageable, à l’heure où tout le monde se sensibilise à la protection des données ainsi qu’à leur préciosité, de laisser des fonctions parfois vitales aux mains d’entreprises ou d’institutions étatiques en mesure de faire des choix par profit, ou par intérêts politiques ? Certains auteurs et autrices, telles que Céline Lafontaine s’inquiètent du fait que le transhumanisme s’occupe davantage d’adapter l’humain à la société et à ses besoins néo-libéraux et productivistes que de corriger les défaillances de cette dernière, quand d’autres voix comme celle de l’Association Française Transhumaniste s’élèvent, proposant des variantes du mouvement transhumaniste, comme le techno-progressisme qui vise à concilier idéaux démocratiques et humains, et technophilie.