Le 14 janvier, la cour d’appel de Washington a déclaré nulles les règles imposant la neutralité du net aux fournisseurs d’accès internet . Cette décision a relancé le débat sur ce principe aussi bien aux États-Unis qu’en Europe.

1024px-Neutralité_du_Net.svgSource : Sébastien Desbenoit (Own work) [CC-BY-3.0], via Wikimedia Commons

Selon la Quadrature du Net, la neutralité du net est le « principe fondateur d’Internet qui garantit que les opérateurs télécoms ne discriminent pas les communications de leurs utilisateurs, mais demeurent de simples transmetteurs d’information ». Cela permet d’assurer l’égalité entre les prestataires de services sur Internet et d’éviter les pratiques anti-concurrentielles. Ce principe assure également la liberté d’expression non-censurée et l’accès au net de manière non discriminatoire.
La décision rendue par la cour d’appel de Washington le 14 janvier 2014 a annulé les règles posées par la FCC (Federal Communication Commission) encadrant la neutralité du net. Ce jugement a été rendu au titre de la procédure entamée par l’opérateur télécom Verizon dans le but de lui autoriser de facturer des frais supplémentaires pour la livraison plus rapide de certains contenus en ligne. La cour d’appel s’est fondée sur le manque d’autorité de la FCC dans ce domaine pour sanctionner ces règles. Les juges n’ont pas rendu de décision sur le fond de l’affaire. Ce verdict est très favorable aux fournisseurs d’accès internet (FAI) ainsi qu’aux opérateurs téléphoniques.
Les trois règles de la FCC remises en cause ont été édictées en 2010. Ce sont :

  • La transparence : les FAI doivent divulguer des informations sur leurs pratiques de gestion de réseau, les performances et les conditions commerciales de leurs services d’accès internet.
  • L’absence de blocage : les FAI ne peuvent pas bloquer des contenus licites,  applications, services ou dispositifs non-nocifs. Les opérateurs de téléphonie mobile ne peuvent pas bloquer des sites web légitimes ou des applications qui sont en concurrence avec leurs services de téléphonie vocale ou vidéo.
  • L’absence de discrimination disproportionnée : les FAI doivent fixer sans discrimination déraisonnable la transmission du trafic réseau légitime sur le service d’accès internet d’un consommateur. Les règles de non blocage et non discrimination sont soumises à des exceptions limitées pour “gestion raisonnable du réseau.”

Aux États-Unis, la FCC a le même statut que l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) en France, ce sont les gendarmes des télécoms.
Pour Verizon, la fin de ces obligations va avoir un effet lucratif : facturer les clients pour un accès plus rapide à certains services et sites et les prestataires de services et sites web pour offrir un meilleur débit aux clients. Les prestataires visés sont principalement Google pour son service YouTube et Netflix. Ces deux services de vidéo utilisent près de la moitié de la bande passante en soirée aux États-Unis, ralentissant ainsi les connexions.

Youtube NetflixSource : « Les Echos », Sandvine, sociétés et Leichtman Research Group

Les effets de cette décision n’ont pas tardé à se faire sentir sur la bourse de Wall Street. Le cours de Netflix a chuté fortement le soir-même de l’annonce et le lendemain matin à l’ouverture de la bourse. Pendant ce temps-là, le cours de Verizon a grimpé, confirmant l’intérêt financier du jugement pour la société.
Pour la FCC, ce jugement reflète le besoin de réformer la loi sur les télécoms de 1934, mais aussi de l’adapter en fonction du droit de la concurrence. Pour certains, cette décision va négativement impacter l’innovation. « C’est totalement contre-productif et cela témoigne d’une vision très court-termiste des opérateurs et des fournisseurs de services Internet. Car cela instaure un filtre dans lequel seuls des groupes de la taille de Google peuvent entrer », critique Jérémie Zimmermann, à la Quadrature du Net. Pour l’ancien Commissaire de la FCC, il n’y a pas d’impact à prévoir sur l’innovation.
Aux Etats-Unis, Barack Obama a affirmé son soutien à la neutralité du net bien qu’aucune mesure ne soit prévue pour l’heure.
Dans l’Union Européenne et pour l’ARCEP en France, la problématique de la neutralité du net est une question importante et récurrente. Au niveau européen, un projet de règlement est sur la table. Son contenu reste toutefois flou et incertain – d’une part, il interdit toute discrimination des contenus et des services de la part des fournisseurs d’accès Internet ; d’autre part, il leur reconnaît le droit d’appliquer des restrictions pour des motifs raisonnables. Neelie Kroes, commissaire européenne chargée de la société numérique, a réagi à cette décision de la cour d’appel de Washington sur Twitter : « En regardant ce qui se passe aux États-Unis, je devrais peut-être inviter les start-up américaines à venir en Europe, pour qu’elles aient plus de chance de réussir ».
En ce qui concerne la France, l’ARCEP a publié un projet de modification de la décision sur la neutralité du net de décembre 2013. Mais dans les faits, nous sommes loin de la neutralité. Les FAI contrôlent encore largement l’allocation de bande passante et discriminent de manière positive ou négative selon les sites. Pour cela nous avons l’exemple de SFR qui permet à ses clients un accès illimité à YouTube, ou bien au contraire Free qui bride les requêtes vers la plate-forme de vidéos de Google. Aussi, la loi de programmation militaire, dans son article 20, permet aux autorités de demander aux FAI de fournir des informations relatives aux communications de l’usager, impliquant une forme de surveillance.
A l’heure actuelle, seuls trois pays dans le monde ont inscrit la neutralité du net dans la loi : le Chili en 2010, les Pays-Bas en 2011 et le Pérou en 2012. Espérons que de nombreux autres pays vont les suivre.
Vous trouverez la décision ici.

Marineo

Marine Ogier
Étudiante en M2 Droit de l’Économie Numérique, passionnée de nouvelles technologies, d’informatique et le droit qui les encadre
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