Le jeudi 15 novembre 2013 restera comme une date gravée dans la mémoire de Google. Le géant US a obtenu l’aval de la justice américaine lui permettant de numériser tout livre à sa convenance sous certaines conditions. Une victoire attendue depuis 2005 par la firme californienne.

google booksSource : http://www.talkandroid.com/175865-google-files-patent-for-online-interactive-book-club/google-books/

Rappel des faits et objectifs du programme “Google Books”
Depuis huit ans, Google est en conflit avec une des organisations les plus puissantes de l’industrie du livre aux Etats-Unis : le syndicat des auteurs américains (Authors Guild). Ce dernier revendique des droits d’auteurs sur des ouvrages qui ont été scannés par Google sans autorisation. L’Authors Guild avait donc déposé un recours collectif devant la justice américaine pour ce motif. Google a déjà numérisé plus de 20 millions de livres depuis décembre 2004, date à laquelle son programme “Google Books” a été annoncé. Pour certains d’entre eux, le droit d’auteur n’a pas non plus été respecté initialement.
A cette époque, le programme “Google Print”, renommé plus tard “Google Books”, avait un double objectif. D’une part, permettre la recherche au sein de toutes les connaissances du monde contenues dans les livres. D’autre part, s’assurer un avantage comparatif de taille sur ses concurrents directs dans le domaine de la recherche en ligne.
Une autre association d’éditeurs de livres américains (Association of American Publishers), mais aussi des éditeurs français ont tour à tour posé des problèmes à Google devant la justice au sujet de la reproduction non autorisée d’œuvres protégées. Le groupe La Martinière (soutenu par le Syndicat Nationale de l’Edition ainsi que la Société des Gens de Lettres) en est un exemple.
Le principe du Fair Use
Alors quels sont les critères utilisés par la justice américaine pour donner raison à Google ?
Tout d’abord, le droit d’auteur n’a pas la même signification pour le système juridique du common law, basé sur le droit jurisprudentiel, que pour le droit romano-civiliste qui est un système juridique codifié. La différence se situe notamment dans le principe de Fair Use. Cette notion, que l’on peut traduire par “usage loyal, raisonnable ou acceptable”, vient des Etats-Unis. Elle désigne un ensemble de règles de droit, d’origine législative et jurisprudentielle apportant des limitations et des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son œuvre (donc au droit d’auteur). Ces règles prennent en compte à la fois les intérêts des bénéficiaires des droits d’auteur mais aussi l’intérêt public.
Pour la justice américaine, en application du principe du Fair Use, Google n’est pas en tort. Son jugement est motivé par deux raisons principales qu’elle qualifie d’équitables envers Google et les auteurs des œuvres :

  • Le fait d’indexer des pages internet dans le moteur de recherche Google a la même portée que d’ajouter des extraits de contenus de livres dans les résultats de recherche. A quelle condition ? Seuls des extraits de contenus doivent être publiés.

Comme l’affirme le juge new-yorkais Denny Chin, seules deux hypothèses permettent à Google de faire consulter un texte “in extenso” (en totalité). Soit les droits sont tombés dans le domaine public, soit l’auteur de l’œuvre lui a donné son accord. Mais dans ce cas-là, Google doit fournir à l’auteur une copie des versions numérisées lui permettant d’enrichir son catalogue numérique. Selon la justice américaine, Google apporte une valeur ajoutée à l’originalité des livres mais sans s’y substituer.

  • La numérisation des livres a une utilité publique car elle est favorable à la diffusion des connaissances (notamment pour les étudiants, professeurs, et bibliothécaires). Elle leur permet d’optimiser leurs recherches de livres et de contenus afin de donner la possibilité aux utilisateurs d’acheter des livres ou de les emprunter.

La numérisation est utile aussi pour préserver les vieux livres avant qu’ils ne “tombent” dans l’oubli, afin de les mettre à la disponibilité de tous.
Néanmoins, ce système de Fair Use possède l’inconvénient de ne pas définir de limites clairement définies à ne pas dépasser pour protéger le droit d’auteur sur les œuvres.
L’appréciation est laissée aux tribunaux, ce qui diffère du système juridique romano-civiliste présent dans la majorité des Etats Européens dont la France. Pour l’Authors Guild, il n’y a pas de doute possible ici : Google dépasse largement toutes les limites autorisées par le Fair Use.Google fait des éditions digitales non autorisées de presque toute la littérature mondiale et réalise des profits en affichant ces œuvres”, affirme le syndicat.
A l’avenir, 60 millions d’ouvrages devraient être numérisés d’ici une quinzaine d’années. En attendant, cette décision judiciaire ne fait pas l’unanimité. Dans un futur beaucoup plus proche, se tiendra sans doute un procès en appel, envisagé par le syndicat des auteurs américains.
Thomas PERRIN
Etudiant en Master 2 Droit de l’économie numérique à l’université de Strasbourg (67)

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