C’est l’actualité de fin de semaine en ce début 2013. Tous les acteurs du web prennent position et relaient l’information : la dernière mise à jour de la Freebox Revolution comporte une nouvelle fonctionnalité bêta, le blocage par défaut des bannières publicitaires. Tout équipement connecté via le réseau local bénéficie de cet « adblocker ». Bien évidemment, la majorité des utilisateurs ne se plaignent pas du retrait de la publicité. Mais l’atteinte aux intermédiaires du web est problématique pour la pérennité du secteur de l’économie numérique.

Source : http://media.melty.fr/

La possibilité de supprimer la publicité sur le web ne date pas d’aujourd’hui. La populaire extension Adblock Plus existe depuis plusieurs années et est disponible sur un grand nombre de supports. Cependant, l’installation d’une extension résulte d’un choix délibéré de la part de l’internaute, ce qui n’est pas le cas ici, où l’utilisateur a simplement le choix de désactiver cette fonction. C’est ce qu’on appelle le principe du « opt out ».
En outre, une extension permet une plus grande liberté dans le « degré » de blocage. L’utilisateur peut choisir de conserver les publicités sur certains sites. Ici, la fonctionnalité est non seulement activée par défaut mais aussi à l’insu de l’utilisateur. Défaut de transparence et modification du service fourni[1], voilà pour l’atteinte aux consommateurs.
Menace d’un business model : la twittosphère gazouille !
Twitter a amplifié ce phénomène et on ne parle plus que de l’#AdGateFree dans tous les recoins du web. Cette histoire va jusqu’à remettre en question le business model dominant de la Toile : de nombreux sites se rentabilisent ou ne vivent que par la publicité ! Un tollé s’est donc soulevé sur la twittosphère, beaucoup appelant les utilisateurs Free à désactiver eux-mêmes cette fonctionnalité.

L’activation unilatérale de Free, une remise en cause du principe de neutralité du net ?
Le principe de neutralité du net “garantit l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Ce principe exclut ainsi toute discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise sur le réseau.” (source Wikipedia) Editeurs et annonceurs revendiquent la capacité pour les internautes d’avoir accès sans discrimination à tous les contenus, publicité comprise. Mais faire de la neutralité du net un « droit fondamental » (Edwy Pienel), est-ce bien légitime? Si l’ONU a reconnu récemment un « droit d’accès à Internet », cette question divise toujours, en particulier suite au rôle joué par Internet lors du Printemps arabe. Entre les partisans d’une reconnaissance constitutionnelle et les autres n’y voyant qu’un  « facilitateur d’accès aux droits fondamentaux », peut-on raisonnablement promouvoir un accès « égalitaire » à Internet ? Les implications derrière cette formule sont nombreuses et se doivent certainement d’être considérées…
La question sous-jacente du financement des infrastructures
Premier touché par cet AdGate…Google. De quoi s’agit-il ?
Une politique de  « peering payant » permet à un opérateur de réclamer une rémunération à tous les opérateurs ou fournisseurs de service qui désirent une interconnexion directe pour atteindre ses abonnés. Pour rentabiliser ses investissements, Free a mis en place une telle politique.  Google avait déjà réussi à négocier avec Bouygues Telecom et Orange. Google estime donner de la valeur aux abonnements des FAI par ses contenus et refuse de payer Free. Depuis, le trafic YouTube est très ralenti pour les abonnés Free; une partie du trafic ne passant plus “en direct”.
On estime que Google aurait perdu jusqu’à un million d’euros par jour depuis le blocage des bannières et autres fenêtres ou liens publicitaires par Free. En octobre 2012, Google avait menacé de déréférencer les sites français s’il était assujetti à une ” taxe Google”. Le dispositif instauré par Free est perçu comme une tentative de pression du FAI sur Google pour le financement des infrastructures. Le partage de la valeur ajoutée entre les prestataires de services et les FAI est un problème plus que d’actualité, notamment avec l’émergence des objets connectés (TV connectée, smartphones, tablettes…etc) toujours plus gourmands en bande passante…Les prestataires de services devraient-ils payer les FAI en fonction de leurs besoins en bande passante ?
La semaine dernière, Fleur Pellerin, ministre déléguée à l’Économie Numérique, a soumis l’idée d’un « no opt-out par défaut ». Free s’est finalement engagé à mettre fin au blocage de la publicité dans la journée de lundi.

Source: http://img.scoop.it/

Xavier Niel, le « Robin des villes modernes »[2] ?

En 2012,  Niel avait lâché une bombe dans le secteur de la téléphonie mobile en proposant ses offres low cost. A sa suite avaient fleuri alors les offres des concurrents, en bons perdants. Free est désormais le deuxième FAI français derrière Orange…

Après avoir révolutionné le monde d’Internet avec le triple play et le low cost, Xavier Niel persiste et signe. Aujourd’hui, le colosse américain Google ne semble plus si intouchable face aux FAI. Il ne s’agit ici que d’un « règlement de comptes » entre différents acteurs du monde numérique. Mais il ne faut pas se reposer sur ses acquis : la question de la censure de contenu par les FAI est bien plus pernicieuse et la vigilance reste de mise pour conserver une certaine « neutralité du net ».
 


 

[1] Le FAI peut-il contrôler l’expérience utilisateur ?  http://www.pcinpact.com/news/76490-free-adgate-fai-peut-il-controler-experience-utilisateur.htm
[2] La « prophétisation » par Aurélien Bellanger (Théorie de l’Information)  se vérifiera-t-elle ? http://www.lenouveleconomiste.fr/xavier-niel-est-il-soluble-dans-la-theorie-de-linformation-15681/#.UOoAnonjmyM