You are currently viewing Affaire Melike c. Turquie : La Cour européenne des droits de l’Homme considère qu’un « like » sur Facebook est protégé au nom de la liberté d’expression

 

Dans le cadre de l’affaire Melike c. Turquie1, la Cour européenne des droits de 
l’Homme (CEDH) reconnait la disproportionnalité du licenciement d’une employée 
contractuelle de l’éducation nationale turque, en conséquence des mentions 
« J’aime » qu’elle avait ajouté sur certains contenus Facebook lors de l’exercice 
de sa liberté d’expression.

Une fois les voies de recours internes épuisées, la requérante a saisi la CEDH pour violation de l’article 10 de la Convention européenne en argumentant qu’appuyer sur le bouton « J’aime » est un exercice relevant de sa liberté d’expression.

Néanmoins, les autorités turques ont considéré que la requérante était coupable de l’infraction de « perturber la paix, la tranquillité et l’ordre du lieu de travail à des fins idéologiques et politiques, faire un boycott ou une occupation, avoir des comportements visant à empêcher la conduite des services publics et provoquer et encourager ces actes » qui était prévue dans sa convention collective de travail applicable à l’époque des faits. (§45)

La Cour commence son raisonnement par constater que l’emploi de la mention « J’aime » sur les réseaux sociaux constitue clairement « une forme courante et populaire d’exercice de la liberté d’expression en ligne. » (§44)

La disproportionnalité entre l’ingérence et le but légitime poursuivi

Par conséquent, il reste à déterminer le rapport de proportionnalité entre l’ingérence dans l’exercice du droit de réponse de la requérante à sa liberté d’expression et le but légitime poursuivi par les autorités turques.

Dans le cadre de l’examen de proportionnalité à l’égard de la sanction infligée à la requérante, à savoir la résiliation immédiate du contrat de travail sans droit à indemnisation. La Cour Strasbourgeoise prend en compte trois critères ; le contenu des publications « aimées », le statut de l’employée et l’impact ainsi que la nature de la mention « J’aime » dans le sens ou le like est constitutif ou pas d’une volonté active sur le réseau social.

D’abord, elle constate que le contenu desdites publications concerne un débat d’intérêt général pour laquelle la Cour doit garantir « un niveau élevé de protection de la liberté d’expression » selon l’article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Ensuite la Cour rappelle que le statut de la requérante en tant qu’employée, ne doit pas se confondre avec le statut d’une fonctionnaire qui sera nécessairement accompagné du devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers son employeur. Au contraire, en l’espèce, la requérante en charge du nettoyage dans une école2, est une employée contractuelle soumise au droit du travail. Par conséquent le devoir de loyauté ne peut pas être autant accentué comme celui d’une fonctionnaire, car la requérante, en l’espèce, n’est pas à proprement parler une fonctionnaire.

Une gradation dans l’usage de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux3

Enfin, la CEDH applique une gradation dans l’usage de la liberté d’expression en soulignant la différence entre l’emploi de la mention « J’aime » et le fait de partager ou bien rédiger une publication.

En effet, elle considère que « l’acte d’ajouter une mention « J’aime » sur un contenu ne peut être considéré comme portant le même poids qu’un partage de contenu sur les réseaux sociaux » en constatant qu’une mention « J’aime » « exprime seulement une sympathie à l’égard d’un contenu publié, et non pas une volonté active de sa diffusion ». (§51)

Quant à l’impact de la mention « J’aime », la Cour souligne que la requérante qui a une représentativité limitée dans son lieu de travail, n’avait pas une notoriété et « que ses activités sur Facebook ne pouvaient pas avoir un impact significatif sur les élèves, les parents d’élèves, les professeurs et d’autres employés. »

Dans cet état des choses, la CEDH décide qu’il y a effectivement une violation de la liberté d’expression par la sanction maximale prévue par la convention collective de travail, et est d’une sévérité extrême. Elle condamne la Turquie à verser à la requérante la somme de deux milles euros en tant que dommages et intérêts pour le préjudice moral.

 

Bilge Esin DINCEROGLU

Master 2, Droit de l’économie numérique, Promotion 2021-2022

Sources :

  • 1CEDH, sect. II, 15 juin 2021, no 35786/19, Melike c/ Turquie
  • 2Lyon-Caen, Antoine. « Mention “J’aime” ». Dalloz Revue de droit du travail, vol. 28/07/2021, no N° 07–08, 2021, p. 415. Dalloz, www-dalloz-fr.scd-rproxy.u-strasbg.fr/documentation/Document?id=REVTRAV/CHRON/2021/0098.
  • 3Gaz. Pal. 19 oct. 2021, n° 427g9, p. 32
  • Légipresse. « Violation de la liberté d’expression d’une salariée licenciée pour avoir ajouté la mention « J’aime » sur des contenus publiés sur Facebook ». Légipresse, 2021, p. 324. Dalloz, www-dalloz-fr.scd-rproxy.u-strasbg.fr/documentation/Document?id=LEGIPRESSE/CHRON/2021/0858.

 

 

 

[1] CEDH, sect. II, 15 juin 2021, no 35786/19, Melike c/ Turquie

[2] Lyon-Caen, Antoine. « Mention “J’aime” ». Dalloz Revue de droit du travail, vol. 28/07/2021, no N° 07–08, 2021, p. 415. Dalloz

[3] Gaz. Pal. 19 oct. 2021, n° 427g9, p. 32

 

A propos de Bilge Esin Dinceroglu

En stage de fin d'études chez Marvell Avocats sous direction de Maitre Géraldine CAMIN Étudiant en Master 2 Droit de l'économie numérique promotion 2021-2022