De la borne arcade à la démocratisation actuelle des consoles de salon, le jeu vidéo, à l’instar des nouvelles technologies, a connu une progression fulgurante sur tous les niveaux. Que ce soit sur le plan technique, sur celui des recettes engrangées par certains éditeurs ou encore sur l’émergence du sport électronique, le logiciel de loisir devient un vecteur quasiment incontournable dans le marché du multimédia. Pourtant, le jeu vidéo souffre aujourd’hui d’un problème récurrent du web 2.0 : le piratage. Afin de le pallier, des développeurs mettent en place des mesures techniques de protection, mais ces dernières s’avèrent-elles aussi utiles que justifiées?
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Le DRM est un acronyme signifiant Digital Rights Management (ou Gestion des droits numériques). Il s’agit d’une mesure technique de protection permettant d’assurer un contrôle de la version du jeu utilisée. L’un des objectifs principaux est simple : bannir toute utilisation de versions piratées du dit jeu. Un DRM peut être constitué de plusieurs formes et celle qui fera l’objet d’une étude approfondie sera principalement le “marquage” numérique du jeu.
Par marquage, on entend l’obligation permanente pour le joueur de s’identifier par des moyens techniques afin d’accéder au contenu du logiciel. Sans connexion internet, sans l’activation du logiciel par une clé ou encore sans une première activation effectuée sur Internet, le joueur ne pourra pas lancer l’exécutable. Beaucoup d’éditeurs de jeux vidéo protègent ainsi l’utilisation de leurs œuvres afin de lutter contre les copies privées non autorisées des logiciels de loisir : sans possibilité de réactiver le fichier exécutable, le jeu vidéo ne pourra pas se lancer et le consommateur ne pourra donc pas en profiter. Le DRM constitue donc également une attaque indirecte contre le marché de l’occasion : le consommateur ne peut pas revendre un jeu vidéo descellé, ni même exercer son droit de rétractation.
Sur un plan juridique, la directive DADVSI (Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information) de 2001 transposée en France en 2006 protège les DRM à condition que ces derniers soient efficaces. Ainsi, si aucune sanction n’existe sur le plan du seul contournement de la mesure technique de protection, c’est la conséquence même en termes de propriété intellectuelle qui fait naitre une sanction sur le terrain de la contrefaçon. Sur un plan théorique, une telle mesure de protection est également compréhensible : face à un contrôle permanent effectué sur l’identité du jeu utilisé, une version pirate ne pourra pas se contenter de copier un simple exécutable avant de le distribuer en peer-to-peer ou équivalent. Rappelons que le jeu vidéo est identifié en termes de propriété intellectuelle comme une œuvre multimédia : l’image, le son et tous les éléments constitutifs du logiciel de loisir seront ainsi protégés séparément selon un régime distributif.
Or force est de constater qu’aujourd’hui la propriété intellectuelle connait une réputation décroissante auprès de certains consommateurs, et de fait des joueurs. Les DRM sont dans l’ensemble mal accueillis lorsque ces derniers obligent le joueur à utiliser une connexion internet permanente ou encore à passer par des plates-formes numériques obligatoires comme Steam, Origin, Uplay … Dans un premier temps, l’impact des DRM sur le piratage du jeu vidéo est relativement faible puisque les pirates peuvent parvenir à détourner ces mesures techniques de protection. La mesure reste néanmoins compréhensible puisque ces DRM permettent a minima de garantir aux joueurs qui jouent en ligne avec d’autres joueurs une réduction considérable du risque de rencontrer un pirate. Pour autant, les DRM apparaissent-ils comme la meilleure solution de protection du logiciel de loisir?
En effet, la fracture numérique reste aujourd’hui un problème que l’Europe souhaite éradiquer d’ici 2020. Dès lors, lorsqu’un consommateur ne dispose pas d’une connexion à internet, de façon permanente ou temporaire, la privation de l’accès au contenu hors ligne du jeu vidéo légalement acheté apparait plutôt disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi, et surtout de son efficience actuelle. D’ailleurs, certains développeurs annoncent qu’ils se désintéressent des DRM dans le but très probable d’attirer la sympathie de leurs potentiels consommateurs. C’est ainsi que l’association “UFC Que Choisir” avait assigné le 12 juin 2012 l’éditeur Blizzard pour ses DRM sur le jeu Diablo 3 : l’association estimait que ces mesures étaient beaucoup trop restrictives pour le joueur qui souhaitait avoir accès au contenu intégral du jeu ainsi que pour la difficulté de revendre de tels logiciels d’occasion. De plus, les DRM imposant une connexion permanente suppose également une stabilité constante des serveurs : le cas récent du lancement du jeu vidéo “Sim City” prouve que des serveurs incapables de supporter un trop grand nombre de connexions paralysent le consommateur ayant légalement acheté son produit.
De manière plus générale, la pratique des DRM dans le jeu vidéo ne permet pas de renforcer la confiance populaire dans l’efficience de la propriété intellectuelle. Cette dernière souffre en effet actuellement de plusieurs polémiques sur la pertinence de ses mécanismes classiques de protection appliqués à la sphère numérique. Or si cette dernière était amenée à disparaitre en même temps que les DRM, la créativité numérique pourrait-elle survivre dans un univers aussi hostile à la propriété individuelle? Pour autant, cela revient-il à admettre des mesures de protection certes défensives, mais qui apparaissent de plus en plus lourdes pour le consommateur?
Pour conclure, oui la protection du jeu vidéo par les DRM a encore un sens dont le droit d’auteur français a levé l’étendard : la protection du créateur et de son œuvre de l’esprit. Cependant, les DRM apparaissent en pratique inadaptés dans des cas où le consommateur souhaite jouir de son bien immatériel de façon constante. Quid des serveurs qui plantent alors que le consommateur ne souhaite pas utiliser un contenu online? Quid encore du marché de l’occasion du jeu vidéo qui devient aujourd’hui quasiment impossible? Si les DRM constituent certes aujourd’hui la meilleure protection à défaut de toute autre, il n’est pas incongru de s’interroger sur une meilleure alternative combinant la protection efficace du jeu vidéo avec la liberté du consommateur de jouer en toutes circonstances.
 
Bertrand PLAU

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