Le Conseil constitutionnel vient de retoquer le texte de loi instaurant la carte d’identité biométrique. Jugeant que le législateur enfreignait les libertés individuelles et qu’on ne pouvait associer une fonction mercantile à un outil de cette nature, les sages ont défini une limite à une application technologique.
Aristote
L’innovation rime-t-elle forcément avec progrès ? C’est en substance la question qui se profile dans une décision qui va heurter les thuriféraires du numérique. Les risques potentiels contre le vivre ensemble ou la santé portés par l’évolution forcenée de la technologie sont le plus souvent balayés d’un revers de main par les défenseurs de l’orthodoxie.
Pourtant des esprits éclairés nous mettaient en garde dès le milieu du siècle dernier contre les dérives futures d’une société mécanisée à outrance. Bernanos et Orwell défendaient un point de vue qui paraîtrait iconoclaste de nos jours.
Dans son essai « La France contre les robots », l’écrivain français annonçait les délocalisations rendues possibles par la mécanisation et la standardisation, un phénomène qui nous est malheureusement familier. Il décrivait les esquisses de nos fichiers informatiques et leurs dangers pour la liberté individuelle. Ces conditions angoissantes portées par une société de surveillance centralisée imprégnaient également « 1984 », le roman de Georges Orwell.
Les inquiétudes de ces écrivains devant un progrès technique qui échapperait à ses créateurs nous interrogent sur nos propres rapports avec l’innovation. Ainsi on a découvert récemment que les nanotechnologies pouvaient impacter gravement la santé des techniciens qui les manipulent. Néanmoins aucun débat sérieux sur leur dangerosité n’a été organisé et des applications seront développées sans se laisser le temps d’un recul, que le principe constitutionnel de précaution nous impose pourtant. Il en est de même pour les antennes de téléphonie mobile dont les potentiels dangers continuent à alimenter la controverse.
Le numérique qui est une chance pour la réorganisation économique et énergétique est rarement l’objet d’une réflexion critique. L’absence d’une culture technologique de nombre d’élus et l’abandon d’un sujet stratégique à des « spécialistes » sont autant de freins à un débat démocratique qui permettrait de recentrer l’usage du numérique et de fixer raisonnablement des limites.