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Peut-on filtrer le net pour protéger les auteurs, chanteurs, sociétés de production et leurs intérêts ou les internautes eux-mêmes contre les images pédopornographiques ? Ce sont les questions auxquels la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une part, et le Parlement français d’autre part, devait répondre en ce début d’année. Et bien que plus nuancé pour la CJUE, les deux instances ont répondu par l’affirmative.
En effet, la Cour de justice a estimé qu’un Etat membre peut valablement autoriser un juge à ordonner le filtrage des réseaux P2P aux fournisseurs d’accès internet, sous condition de proportionnalité du dispositif.
Cette décision de la Cour fait suite à une question préjudicielle poser par  la justice belge pour savoir en substance si un juge peut ordonner à un hébergeur “de mettre en place, à l’égard de toute sa clientèle, in abstracto et à titre préventif, à ses frais et sans limitation dans le temps, un système de filtrage de la plus grande partie des informations stockées sur ses serveurs, en vue d’y repérer des fichiers électroniques contenant des œuvres musicales, cinématographiques ou audiovisuelles (…) et d’en bloquer ensuite l’échange” ?
La CJUE considère que les directives européennes “interprétées notamment au regard du droit à la vie privée et de la liberté d’expression, ne font pas obstacle à ce que les États membres autorisent un juge national, saisi dans le cadre d’une action en cessation comme celle en cause au principal, à ordonner à un fournisseur d’accès de mettre en place, afin de faire cesser les atteintes au droit d’auteur qui ont été constatées, un système de filtrage destiné à identifier sur son réseau la circulation de fichiers électroniques concernant une œuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits et ensuite bloquer le transfert de ceux-ci, soit au niveau de la requête soit à l’occasion de l’envoi”. Le juge européen tempère tout de même sa décision en ajoutant qu’il “appartient au juge national qui prononce une telle mesure de veiller à ce que celle-ci soit loyale et équitable et qu’elle soit proportionnée au regard de l’objectif poursuivi et des différents intérêts et droits en jeu”.

Le Parlement français de son coté, semble bien moins soucieux de sauvegarder les apparences. L’intention du législateur ici n’est pas purement économique certes, et serait basé sur une prétendue volonté,  bien louable s’il en est, d’empêcher tout accès ou propagation d’images pédopornographique sur le web. Aussi, à la seconde lecture du texte, le Sénat a adopté l’article 4 du projet de loi LOPPSI imposant un blocage des sites dont la liste sera établie sans contrôle judiciaire par l’autorité administrative.

Le projet de loi prévoit notamment que “lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient, l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai”.

Toutefois, l’absence de contrôle du juge fait risquer au projet de loi une censure du Conseil constitutionnel, voire une sanction de la Commission Européenne. Toujours est-il que le gouvernement se montre résolu à vouloir règlementer internet de manière autoritaire et toute brèche qui s’ouvrirait dans la liberté d’accès à internet semble être amener à s’agrandir. Tel le démontre les déclarations du porte-parole du projet de loi ne niant pas une extension possible à d’autres domaines. Bien entendu, il ne s’agirait pas ici de faire, comme les politiciens aiment souvent à le rappeler, un « procès d’intention ». Toutefois, un lieu commun en appelant un autre, ne dit-on pas également à propos de ce genre de bonnes intentions que l’enfer en est pavé. Finalement pour répondre à la question posée par le titre de l’article, celui-ci est volontairement exagérateur, le filtrage reste localisé. Néanmoins, pour reprendre une expression bien connue des internautes, le filtrage pourrait bien s’étendre de manière virale si l’on ne reste vigilant.

N.B. : Depuis l’écriture de l’article (le 20 janvier) la Commission des lois de l’Assemblée Nationale a adopté à l’unanimité des amendements à la loi LOPPSI qui imposent la validation par l’autorité judiciaire de toute mesure de filtrage imposée aux FAI. La “liberté” du net reste donc sauve pour le moment. Toutefois, le principe même de filtrage comme prétendue solution au problème de la pédopornographie reste critiquable. Pour plus d’info sur ce sujet sensible allez voir cet article sur Numerama :
www.numerama.com/magazine/14963-loppsi-et-si-le-filtrage-du-web-encourageait-la-pedocriminalite.html

A propos de Brahim Saidi