Pour cette troisième édition du CIUEN (Colloque International de l’Université à l’Ere du Numérique), organisée cette année par l’Université de Strasbourg, et qui réunit tous les deux ans depuis 2006, les entreprises ayant fait le pari des TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Education) dans l’enseignement supérieur, et les représentants d’Universités françaises ou d’ailleurs, plusieurs outils innovants en matière d’enseignement ont été présentées du 14 au 16 juin dernier.
Un programme de qualité
En marge des conférences tenues par des élus, des agents du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, ou d’éminents universitaires, des partenaires privés comme IBM, Microsoft, Orange, Epson, Smart, Oracle pour ne citer qu’eux, tentaient de séduire le chaland à coups de démonstrations, exhibant les dernières évolutions de leurs joyaux technologiques : tableaux blancs interactifs, logiciels de gestion des ressources humaines, cartes à puce étudiantes multiservices, outil de veille et détection de plagiat sur internet et autres systèmes de sécurisation des données. En allant un peu plus loin aux abords des salles de conférence, les universités présentaient leurs formations, partiellement ou entièrement consacrées aux « TIC ».
Un retard français regrettable
La transmission des savoirs à l’ombre d’un olivier fait bel et bien partie du passé puisque les projections s’orientent progressivement vers l’e-learning, du moins lorsque la discipline étudiée le permet. Pourtant, à en constater le retard français en matière de pédagogie numérique, il semblerait que l’on soit encore attaché à un mode plus traditionnel d’enseignement, bien que le marché se développe rapidement. En effet, 90% des étudiants disposent aujourd’hui d’un ENT (Environnement Numérique de Travail), mais seuls 8% bénéficient de cours sous forme de podcast. De larges progrès restent donc à faire, mais les technologies évoluent vite, c’est pourquoi il est difficile de construire un modèle pédagogique efficace et pérenne.
Les enjeux d’un enseignement en ligne
Le déploiement de la fibre optique fait partie des vecteurs d’accélération de la mise en place des outils d’enseignement en ligne. Dans la « Stratégie Europe 2020 », l’objectif de couverture en très haut débit atteint 50% du territoire européen en 2020. Il permettrait de pallier les carences de certaines filières présentes dans peu de centres régionaux. Par ailleurs, des formations de haut niveau deviendraient accessibles dans des zones reculées et soumises à des pathologies graves, participant ainsi à l’information sanitaire des populations exposées (en Afrique subsaharienne par exemple).
L’enseignement en ligne offre, d’autre part, une souplesse d’organisation, un potentiel d’autonomisation et une personnalisation des parcours, à condition que l’isolement, inévitable malgré les outils de socialisation virtuels, et les difficultés d’organisation, revers de l’autonomisation, ne viennent entacher la motivation de l’apprenant.
Les outils proposées
Télé-éducation, visioconférence, réalité augmentée pour les actes chirurgicaux (IRCAD), web-documentaire, wikis et autres plateformes contributives, web-tv, réseaux sociaux permettant de capitaliser les expériences informelles, chats, forums, wims (plateformes web d’exercices interactifs), podcasts,… Les outils ne manquent pas pour rendre l’enseignement interactif, stimulant et enrichissant. Certains vont même jusqu’à oser l’hybridation en associant une plateforme éducative à Second Life par exemple !
L’une ou l’autre conférence pouvait cependant poser des difficultés de compréhension, même pour le congressiste averti, puisque des termes barbares comme versioning, alfresco, VNC, XLIM, SPIRAL, COBIT et autres acronymes indigestes ponctuaient régulièrement les propos des intervenants, faisant « décrocher » une partie de l’assistance, trouvant refuge dans leur mail ou une page facebook.
Il n’est donc pas surprenant que l’enseignant perdu dans ce dédale technique se sente quelque peu ostracisé. Le développement des cours sur internet passe par le renforcement de l’assistance du béotien. Il s’agit de former et accompagner les enseignants à l’usage de ces nouvelles pratiques, qui ne perçoivent pas toujours leur intérêt à enseigner par le biais des TIC.
Il est également indispensable d’améliorer l’ergonomie fonctionnelle et visuelle, d’assurer la stabilité du site et la conservation des données personnelles.
Et le contenu dans tout ça ?
Le colloque faisait ainsi davantage état des outils dont les universitaires et étudiants feront usage que des réels questionnements, tout aussi importants semble-t-il, portant sur la valeur accordée à la maîtrise du savoir et des connaissances. En effet, le support change non seulement la manière de transmettre les informations, la façon de les appréhender par l’étudiant, mais aussi leur retransmission lors d’une évaluation. A l’ère du numérique ou les informations sont diffusées en masse, et disponibles à tout instant sur internet, le savoir est-il encore perçu comme une donnée à acquérir ?
« Un étudiant sur deux échoue en première année » entend-on lors d’une conférence et « les TIC pourraient être un remède à apporter à ce constat alarmant », argument quelque peu fallacieux dans la mesure où l’université n’a pas vocation, malgré des discours politiques contraires, à faire réussir tous les candidats aux diplômes convoités, surtout vu le parcours du combattant que doit surmonter l’étudiant en quittant l’université pour faire valoir ses galons de diplômés auprès d’un employeur.
Enfin, bien que cette manifestation n’ait pas eu pour objectif de présenter l’avenir de l’université dans son ensemble, il aurait pu être intéressant d’appréhender également les TIC au travers des disciplines qui tendent à s’éteindre et qui présentent un intérêt considérable sur le plan humain, mais que les contraintes économiques ont peu à peu abandonné à leur sort. C’est d’ailleurs très justement ce que dénonçait la philosophe Martha Nussbaum dans un article du Times repris par l’édition de Courrier International du 24 juin 2010 et qui titrait en couverture : « Où va l’Université ? ». Peut-être pas dans la meilleure direction!