Les relations entre les plateformes et le cinéma ne sont pas toujours des plus tendres. En effet, le célèbre Festival de Cannes n’accepte pas dans ses sélections les films qui ne sortent pas en salle tandis qu’Edouard Baer, l’un des plus célèbres acteurs et comédiens français, a ouvertement critiqué ces plateformes en déclarant lors de la cérémonie d’ouverture que : « Sortir de chez soi, ce miracle-là, plutôt que de rester là, à manger des pizzas en regardant Netflix. Le cinéma, c’est ça ! C’est le collectif, c’est le groupe, c’est la chaleur humaine ! ».
Une crainte légitime…
La crainte de l’industrie du cinéma envers ces plateformes de SVoD (Subscription Video On Demand) n’est pas nouvelle. Tout d’abord, leur nombre ne cesse de croître : Netflix, Disney +, Amazon Prime Video, Salto…
De plus, leur manne financière est gargantuesque. Netflix compte 213 millions d’abonnés dans le monde dont 9 millions en France et investit plus de 17 milliards de dollars dans la création tandis que Canal +, partenaire historique du cinéma français, ne compte que 22 millions d’abonnés dans le monde dont 9 millions en France.
Enfin, le fait que de nombreux films primés aux budgets mirobolants ne sortent même plus dans les salles devient monnaie courante… Le film «Roma» d’Alfonso Cuaron a remporté 3 oscars dont celui de meilleur réalisateur et de meilleur film étranger, un Lion d’Or à la Mostra de Venise et un Golden Globe tandis qu’ «Icare», une création sur le fléau du dopage dans le monde du cyclisme, a reçu la statuette du meilleur documentaire.
Ces plateformes représentent donc un véritable concurrent mais il est nécessaire de rappeler que certains de ces films n’avaient trouvé aucun partenaire pour leur sortie en salles et n’auraient sans doute pas vu le jour sans le financement de Netflix. C’est notamment le cas de «Roma» ou de «The Irishman», un film du célèbre réalisateur Martin Scorsese au budget mirobolant de 150 millions de dollars réunissant de grands acteurs comme Al Pacino, Robert de Niro ou Joe Pesci. Netflix aurait donc reçu selon certains observateurs un juste retour sur investissement.
… qui nécessite une protection nécessaire du régulateur
Afin de protéger les créateurs de contenus français et européens face à ces géants du numérique, de nombreuses régulations ont été adoptées comme la chronologie des médias ou le décret SMAD (décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande) .
La chronologie des médias fait sans doute partie des mesures les plus connues dans la mesure où elle encadre la diffusion des films après leur sortie au cinéma. Cette exception culturelle française cherche à protéger le cinéma tout en lui permettant d’être rentable. Aujourd’hui, un film peut être diffusé en VoD quatre mois après sa sortie au cinéma, 8 mois après sa sortie au cinéma sur Canal + et OCS, 18 mois pour les autres chaînes payantes, 22 mois pour la télévision gratuite et 36 mois pour les services de SVoD (Netflix, Amazon Prime Video, Disney + …).
Cependant, cette chronologie des médias a connu de nombreuses modifications depuis sa création dans les années 80 et fait aujourd’hui l’objet de grandes tractations. Le groupe Canal + a déclaré le 2 décembre dernier avoir conclu un accord avec les représentants du cinéma. Cet accord autoriserait la chaîne à diffuser les films 6 mois après leur sortie en salle (contre 8 mois actuellement). Elle aurait donc l’exclusivité de la diffusion des films pendant neuf mois en contrepartie d’un investissement d’environ 600 millions d’euros pendant trois ans. Les plateformes de vidéo à la demande ont déclaré “avoir pris connaissance de l’accord” mais n’ont encore rien conclu. Cette exception française ne plaît pas à tous les géants américains et certains cherchent à l’esquiver comme Disney qui songe par exemple à ne plus sortir de films au cinéma en France et de seulement les diffuser sur sa plateforme de streaming.
En juillet 2021, une autre réglementation a également fait grand bruit dans le milieu du cinéma. Il s’agit du décret SMAD qui contraint les plateformes de streaming à investir 20 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France au financement la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes ou d’expression originale française. Ce taux atteindra 25 % pour les plateformes proposant des contenus de moins de 12 mois. L’objectif est donc d’obliger ces géants du numérique à participer à la création de productions françaises.
Les régulateurs français et européens cherchent donc à protéger le cinéma, mais cela sera-t-il suffisant?
En tout cas, selon Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français : “Ce n’est pas parce que vous mangez à la maison que vous ne pouvez pas aller au restaurant. Ce n’est pas parce que vous regardez un film à la télé ou sur une plateforme que vous remplacez l’envie de l’expérience cinématographique”.
Par Martin Brandy, étudiant en master 2 Droit de l’économie numérique à l’université de Strasbourg