Nouveaux médias : temps de parole illimité des candidats à l’élection présidentielle ?
Sur les plateaux de télévision et les chaines de radio, la règle d’or des débats entre candidats aux élections présidentielles est le respect des temps de parole de chacun. Pour autant, cette règle semble perdre de son sens au regard de la liberté accordée sur les nouveaux médias. Ainsi, les candidats aux élections présidentielles s’emparent des nouveaux réseaux et profitent d’un temps de parole illimité.
Depuis la loi « Léotard » de 1986, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), devenu aujourd’hui l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)[*], assure le respect du « principe du pluralisme politique » sur les chaînes de télévision et de radio. Considéré comme « le fondement de la démocratie » par le Conseil Constitutionnel en 1989, ce principe met en place un temps de parole limité et contrôlé des candidats à l’élection présidentielle. Le temps de parole est encadré selon trois périodes :
- Du 1er janvier au 7 mars, veille de la publication de la liste des candidats au Journal officiel. Le CSA impose un principe d’équité des temps de parole des candidats. Ce principe s’applique en fonction de la représentativité des candidats et de leur implication dans la campagne (en fonction des résultats aux précédentes élections, des sondages, des déplacements pour rencontrer les citoyens, etc). Par exemple, un candidat aura plus de temps de parole s’il a organisé plus de meetings.
- Du 8 mars au 27 mars, veille du début de la campagne officielle. Le respect d’un principe d’équité des temps de parole se poursuit mais « dans des conditions de programmation comparable ». C’est-à-dire que les candidats doivent avoir un accès équitable aux quatre tranches horaires déterminées par le CSA : de 6h à 9h pour le matin, de 9h à 18h pour la journée, de 18h à minuit pour la soirée et de minuit à 6h pour la nuit.
- Du 28 mars au 9 avril, veille du premier tour. Le CSA applique ici un principe d’égalité stricto sensu, c’est-à-dire que la durée des interventions et les horaires de diffusion du temps de chaque candidat doivent être les mêmes pour tous. Ce principe d’égalité est maintenu du 10 au 24 avril, pendant l’entre-deux tours.
En revanche, il existe une période de réserve électorale à la veille des deux tours de scrutin, de minuit à 20h (heure à laquelle les bureaux de vote ferment). Ici, aucune parole de candidat ou de ses proches n’est possible à l’antenne.
Lors des élections présidentielles, les chaînes de télévision et de radio sont ainsi soumises à un principe de respect des temps de parole des candidats sous peine de se faire sanctionner par le CSA. En revanche, ce principe du pluralisme ne s’applique pas aux nouveaux médias.
[*] L’Arcom devient le régulateur de la communication audiovisuelle et numérique depuis le 1er janvier 2022. Elle résulte de la fusion entre le CSA et l’Hadopi.
Un temps de parole illimité sur les nouveaux médias
Tout d’abord, les « nouveaux médias » peuvent être définis comme les médias s’opposant aux médias dits « traditionnels » que sont la radio, la télévision, les journaux et les magazines. Cette catégorie de « nouveaux médias » comprend notamment les réseaux sociaux tels que Facebook, WhatsApp, TikTok, et les sites de partage tels que YouTube ou Twitch. Ces médias présentent deux grands avantages. Premièrement, celui de poster du contenu préparé et structuré, permettant ainsi d’éviter les inconvénients du direct et renvoyer une image exemplaire du candidat. Deuxièmement, celui de pouvoir interagir directement et simplement avec le public, renforçant la proximité entre le candidat et les citoyens.
Ces plateformes ne sont pas soumises au respect d’un principe de pluralisme politique. Dès lors, les candidats aux élections présidentielles disposent d’un temps de parole illimité peu importe leur parti politique. On peut citer les chiffres suivants :
Nombre d’abonnés / followers | TikTok | YouTube | ||
Jean Luc Mélenchon |
1 293 550 |
1 000 000 | 2 300 000 | 630 000 |
Anne Hidalgo | 234 360 | 109 | 1 500 000 | 70 |
Emmanuel Macron | 4 268 890 | 2 800 000 | 7 500 000 | 223 000 |
Valérie Pécresse | 92 330 | 137 | 412 100 | Non renseigné |
Éric Zemmour | 235 290 | 156 000 | 337 300 | 361 000 |
Chiffres au 07/01/2022
Ces chiffres confirment le poids important des plateformes numériques dans la diffusion de contenus politiques. De plus, ils soulignent une inégalité de visibilité entre les candidats ; par exemple, Anne Hidalgo possède 70 abonnés sur YouTube contre 630 000 pour Jean Luc Mélenchon. En conséquence, un quelconque principe de pluralisme politique n’est pas observé.
On peut également citer certains lives se déroulant sur la plateforme de streaming Twitch. Cet été, le présentateur télévision Samuel Etienne a invité François Hollande sur sa chaîne Twitch. Près de 85 000 « viewers » ont visionné l’entretien avec l’ancien président de la République ce qui a hissé ladite chaîne en tête d’audience mondiale au moment de la diffusion. Ce chiffre peut sembler dérisoire par rapport à un JT pouvant avoisiner les 10 millions de téléspectateurs. Pour autant, la multiplicité des réseaux et la numérisation de la population entraîne une visibilité de plus en plus importante des candidats aux élections présidentielles. Se pose ainsi la question de savoir si une instance de régulation des réseaux ne devrait pas être mise en place afin de faire respecter un principe de pluralisme politique.
Branscôme Labarre
Master 2 Droit de l’économie numérique
Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion de Strasbourg
Sources