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La gouvernance de l’internet suscite peu l’intérêt du public aux yeux duquel elle reste assez mystérieuse. Elle mérite toutefois que l’on s’y attarde, tant sa construction est récente et présente des enjeux stratégiques. Depuis mars 2014, elle se trouve d’ailleurs en pleine mutation, suite à l’annonce du désengagement du gouvernement américain au sein de l’IANA.

iana transition process
Source : https://www.icann.org/resources/pages/draft-proposal-2014-04-08-en


L’internet est un réseau maillé ubique, abyssal et très décentralisé. Il n’est en lui-même soumis à aucune autorité souveraine, exception faite des blocages et restrictions imposés par certains Etats.
Il n’en reste pas moins qu’il nécessite une coordination sur ses aspects techniques pour assurer la pérennité de son fonctionnement et de son évolution.
Cette coordination est assurée par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (l’ICANN), une organisation à but non lucratif basée aux Etats-Unis qui gère et régule notamment le protocole TCP/IP, le système d’adressage IP et le DNS, trois éléments vitaux pour internet.
L’existence de l’ICANN n’est pas si ancienne, sa création remonte à 1998, et ses fonctions lui ont été attribuées à l’époque par l’administration américaine, plus précisément la NTIA, l’autorité américaine de régulation des télécommunications.
Cette dernière a jusqu’à présent détenu un rôle de supervision des fonctions de l’IANA, l’Internet Assigned Numbers Authority, une autorité qui a été rattachée à l’ICANN au moment de sa création.
Or, l’IANA n’est pas un organe anodin de l’ICANN. Il s’agit en effet de l’entité chargée de la gestion de la zone racine du DNS, de l’adressage IP et de certaines ressources protocolaires. Autrement dit la colonne vertébrale de l’internet, les piliers sans lesquels internet serait inutilisable ou inexistant…
Depuis 1998, l’ICANN est liée par contrat à la NTIA, laquelle supervise de cette manière les fonctions de l’IANA.
La NTIA a plus précisément pour rôle d’administrer les modifications de la zone racine du DNS, qui, insistons encore une fois sur ce point, est l’un des piliers du web tel qu’on le connaît.
Pour schématiser, l’administration américaine dispose à ce jour d’un droit de regard et d’un pouvoir de décision sur la structure même du réseau internet, du moins l’un de ses organes vitaux.
Néanmoins, il ne faut pas crier au loup. D’abord parce que la NTIA a un rôle très encadré avec une marge de manoeuvre fort limitée et qu’elle n’a jamais eu à utiliser une seule fois ses prérogatives contraignantes depuis 1998.
Ensuite parce que le département du commerce américain, auquel est rattachée la NTIA, a toujours affiché sa volonté « d’émanciper » internet. Cette volonté a pris son expression le 14 mars 2014, date à laquelle il a annoncé le début du processus de transition du rôle dévolu à la NTIA au travers de l’IANA.
Cette transition consiste au retrait pur et simple de la NTIA de l’IANA, l’abandon de son rôle de supervision de la zone racine du DNS au profit d’un nouveau modèle de gouvernance.
Ce dernier doit être multipartite, consensuel, et doit idéalement évoluer en dehors de toute sphère d’influence étatique. Le département du commerce américain a même été jusqu’à décrire cette étape comme « la phase finale de privatisation du DNS telle qu’évoquée par le gouvernement US en 1997 »…
Ce nouveau modèle n’est toutefois pas encore défini. Il faut dire que la gouvernance de l’Internet (plus exactement de l’IANA) attire bien des convoitises de la part d’acteurs divers qui pourraient y trouver leur compte !
Les enjeux sont en effet considérables. C’est une véritable petite révolution qui se trame discrètement, presque de manière invisible, dans notre monde numérique.
Depuis plus d’un an, l’ICANN a donc lancé des appels à proposition et constitué des groupes de travail composés des parties prenantes afin de réfléchir et parvenir à un accord unanime sur le nouveau modèle de supervision des fonctions de l’IANA à adopter.
L’échéance est très proche puisque le contrat liant l’ICANN à la NTIA prendra fin le 30 septembre 2015.
Ou en est donc le processus d’élaboration du nouveau modèle ?
Ce dernier a pris un peu de retard. Initialement, son aboutissement était prévu pour juillet 2015, mais les groupes de travail ont été confrontés à la difficulté de la tâche. Tous ont cependant remis leurs copies à ce jour.
Ces groupes, au nombre de trois, ont chacun eu a plancher sur une thématique correspondant à l’une des fonctions de l’IANA :
– Les paramètres protocolaires d’internet. Le IANAPLAN Working Group a rendu sa proposition sur ce point le 6 janvier 2015.
– Les ressources d’adressage (IP, notamment). La CRISP Team était en charge de la proposition qu’elle a remise le 25 janvier 2015.
– Les noms de domaine. Surement la partie la plus délicate, la proposition sur ce point n’a été remise que le 25 juin 2015 par le CWG-Stewarship.
Chacune des propositions a depuis été assemblée en un seul et unique document long de 200 pages par le groupe de coordination de la transition (ICG), chargé de chapeauter les travaux réalisés.
Ce document est soumis à consultation publique jusqu’au 8 septembre 2015 à 23h59 UTC. Il vous reste donc encore quelques jours pour faire savoir à l’ICANN ce que vous pensez de son projet de gouvernance pour l’IANA.
Et, qui sait, peut être laisser votre empreinte dans l’histoire de l’internet !

Nicolas Babelon
Étudiant du Master 2 Droit et Gestion de l’économie numérique de l’Université de Strasbourg, je tâche de prendre la mesure d’un monde transformé par la grande révolution technologique que sont les TIC. Nouvelles techniques, nouveaux modèles économiques, nouveaux enjeux politiques et stratégiques, le numérique est en passe de devenir la locomotive à laquelle s’accrocheront les wagons de notre société contemporaine…
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