• Auteur/autrice de la publication :
  • Temps de lecture :9 min de lecture
  • Post category:Général

Aujourd’hui, le jeu vidéo est devenu une part importante de l’économie numérique. Campagnes marketing, participations aux salons internationaux, investissements de plus en plus colossaux (récemment le jeu « Destiny » a atteint le budget de développement record de 500 millions de dollars), la part de marché atteinte au sein du secteur digital n’est plus négligeable. Or l’évolution du développement du jeu vidéo est corollaire à celle du web 2.0, et donc à l’interaction entre joueurs et développeurs. Des nouvelles techniques de communication apparaissent, et certaines annonces sont tout autant accueillies avec entrain qu’avec amertume.

Sans titre

Définir

Avant toute chose, les termes employés dans le titre nécessitent d’être définis et précisés. D’une part, la publicité mensongère est une infraction incriminée à l’article L.121-1 du Code de la consommation. Il s’agit en effet de délivrer au public la publicité d’un produit dont les caractéristiques vantées diffèrent de la réalité lors de la mise sur le marché. La publicité mensongère est presque devenue un abus de langage désignant diverses infractions commerciales alors que les dispositions juridiques l’encadrent strictement : un cas de parasitisme commercial n’est donc pas un cas de publicité mensongère.

A présent, venons-en au terme davantage technique que juridique : le downgrade graphique, dont la définition résulte surtout d’une banalisation de l’anglicisme en France. Lorsque vous faites une mise à jour, vous apportez la plupart du temps des correctifs ou des ajouts à un élément et vous augmentez ainsi sa qualité. L’upgrade précitée s’oppose donc au downgrade, soit à une action qui a eu pour conséquence un nivellement vers le bas du produit, en l’occurrence ici du jeu vidéo. En outre, le downgrade graphique se limite à la partie visuelle du jeu en baissant la qualité du rendu à l’écran.

Un petit rappel s’impose pour les néophytes du milieu. Hormis sur les jeux développés pour les consoles, le jeu vidéo sur PC est graphiquement paramétrable. En effet, outre le choix de la résolution en fonction de votre écran, les développeurs proposent des configurations parfois assez avancées qui vous permettent de régler la qualité des textures, le nombre de particules affichées, la distance du champ de vision ou encore le paramétrage de certains termes barbares comme le « motion blur » ou le « lens flare ». Par conséquent, à l’inverse des consoles qui sont, par définition, bridées dans leur hardware lors de leur conception, les PC sont modulables pour accueillir des composants plus récents, et surtout plus puissants. Et oui, ne profite pas de ces privilèges visuels n’importe quel larron désirant se procurer une machine : il faut investir dans des équipements parfois très coûteux (certains PC sont même refroidis via des circuits réfrigérants dans lesquels circule de l’azote liquide !). Le paramétrage graphique sert ainsi d’argument de vente afin de faire profiter le joueur du meilleur rendu visuel possible.

Revenons sur la publicité mensongère et notamment sur ses conditions d’application. D’une part, la publicité doit comporter des indications (quelles que soient leurs formes) ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur lorsqu’ils portent sur une liste exhaustive détaillée d’éléments. Or parmi ces derniers figurent notamment les résultats qui peuvent être attendus de leur utilisation, la portée des engagements pris par l’annonceur ou encore les propriétés du produit.

Réfléchir

Avec de telles conditions, peut-on légitimement inclure la tendance au downgrade graphique dans le manque de respect des règles du code de la consommation ? La réponse est complexe. Par exemple, prenons un jeu ayant une notoriété certaine comme « Dark Souls 2 ». L’annonce de sa sortie, comme quasiment tous les jeux de la planète, a fait l’objet de « trailers », soit de courtes bandes annonces mises en scène à l’instar des pratiques effectuées dans l’univers du cinéma. Or à sa sortie, force était de constater un nivellement graphique vers le bas. Si le reste du jeu est certes fidèles aux annonces effectuées, le graphisme diffère. Là réside une question quasiment impossible à résoudre : le seul graphisme est-il suffisant à se gargariser du statut de « qualité essentielle » d’un jeu, et donc de constituer une condition permettant d’induire un consommateur en erreur ? Le jeu vidéo, dans sa définition juridique, est une œuvre multimédia, c’est-à-dire qu’elle regroupe des éléments disparates soumis à protection juridique (notamment intellectuelle) telle que la musique ou l’image (à la différence du film, le jeu vidéo se distingue principalement par son critère d’interactivité. La parenthèse est close).

Or une telle réflexion est à même de fonder un débat. D’une part, l’image n’est qu’une composante du jeu et ne le représente pas dans sa totalité. En effet, l’interactivité inhérente à cette notion de jeu vidéo sera représentée par la composante de la « jouabilité » ou du « gameplay ». L’image n’est donc qu’un support, ce qui a permis à des joueurs de s’adonner à du « retro-gaming », soit à l’utilisation de consoles datant parfois de plusieurs décennies dans lesquelles l’affichage se résumait à quelques pixels. Cependant, le graphisme constitue un argument de vente de plus en plus alléchant à l’heure de la haute définition et des textures de plus en plus travaillées. Certains jeux, comme « Beyond Two Souls », proposent notamment un gameplay très peu travaillé au profit d’une mise en scène graphiquement irréprochable via la technique de reconnaissance faciale, ou « motion capture ». De plus, les trailers actuels rivalisent d’effets de particules toujours plus impressionnants dans un but avouable de toute société : la vente.

Revenons à Dark Souls 2, et mettons maintenant à part le trailer et le jeu final pour nous concentrer sur la version « scholar of the first sin » récemment sortie. Cette version propose assez amèrement une amélioration graphique (plus quelques petits changements certes) contre le versement d’une nouvelle somme d’argent. Non, je ne m’acharne pas sur cette licence (d’autant que je l’ai adoré), puisque d’autres studios tendent vers ce phénomène. En outre, la série très célèbre des « Witcher » a également fait parler d’elle lorsque son trailer de présentation ne correspondait pas aux graphismes du jeu final. Le studio CD Projekt RED s’était alors expliqué, en justifiant une impossibilité à modéliser toutes ces particules dans un jeu si vaste. De plus, le portage de jeux sur consoles a également pu revoir des ambitions graphiques à la baisse (quand bien même elles auraient pu être conservées sur PC).

J’en viens donc à la question du thème : un trailer ainsi produit au moment de la phase marketing du produit peut-il être assimilé à de la publicité mensongère ? D’un certain côté oui, le graphisme est aujourd’hui une composante fondamentale du jeu vidéo, et notamment avant sa sortie puisque l’image sera le seul vecteur de communication envers le joueur. De plus, certains studios affirment également l’importance du graphisme, tel Crytek (un studio célèbre pour son moteur de jeu CryEngine) qui affirme sans vergogne qu’elle constitue 60% de l’importance du jeu. Cependant, étant donné que le trailer ne constitue pas le seul vecteur de communication entre le joueur et le développeur (annonces via internet, participation aux salons, …), le juge pourrait également pencher en faveur d’une interprétation trop rigide du downgrade graphique en publicité mensongère : le consommateur en tant que « bon père de famille » (terme juridique utilisé pour désigner les capacités d’un individu dit normal) ne pourrait-il pas faire la part des choses par lui-même, quand bien même le droit de la consommation est certes davantage protecteur envers le consommateur ?

Pour conclure, l’action en justice est potentielle puisque le respect des conditions juridiques est valide. Cependant, ce serait avoir une conception très rigide du domaine numérique où l’interactivité atteint son paroxysme : il serait en effet préférable de former une action de groupe non à des fins judiciaires, mais à des fins plus revendicatives que répressives.

Bertrand PLAU: Aujourd’hui le réel se confond avec l’imaginaire, et cette peinture du monde est devenue possible grâce au numérique. Engagé dans un droit qui n’existe officiellement pas, j’ai pour seule ambition la compréhension, voire l’anticipation de ce nouveau monde digital qui, s’il peut contribuer à l’accomplissement de grandes choses, peut également servir de plus sombres desseins

A propos de Bertrand PLAU