You are currently viewing Les États répondent aux défis posés par l’économie numérique
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L’économie numérique repose principalement sur un élément central : les données. Comme mentionné dans l’article précédent, les caractéristiques immatérielles ainsi que les fonctionnalités particulières des données numériques compliquent les systèmes juridiques et fiscaux traditionnels. En raison de l’immatérialité des données et des services numériques, il est difficile de déterminer le lieu où la valeur est créée et, par conséquent, quel pays est en droit d’imposer la richesse générée par ces activités.

Le présent article présente un aperçu général de ces défis et des solutions déjà apportées par les États.

Les défis : optimisation fiscale, faible taxation et concurrence déloyale

Les entreprises du numérique, telles que les géants du GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), exploitent habilement les failles des systèmes fiscaux nationaux en transférant artificiellement leurs bénéfices vers des États offrant un faible taux d’imposition. Elles pratiquent ainsi l’optimisation fiscale via plusieurs mécanismes, notamment :

  • La localisation de leurs algorithmes et brevets dans des pays où l’imposition de ces actifs est faible ou nulle comme révélée dans l’affaire Starbucks au Royaume-Uni ;
  • Les pratiques dites de « prix de transfert » lors des opérations intra-groupes pour délocaliser les bénéfices des entreprises-mères vers des filiales dans des paradis fiscaux.
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Ces stratégies, en plus de la déduction des intérêts lors des prêts intra-groupes, contribuent à la diminution de l’assiette fiscale des États, en particulier ceux où ces entreprises exercent une activité réelle et significative génératrice des revenus mais sans présence physique.

Le caractère dématérialisé de l’économie numérique pose également des problèmes d’injustice fiscale et de concurrence déloyale, car les entreprises numériques parviennent à payer beaucoup moins d’impôts que les entreprises traditionnelles. Ces dernières sont souvent soumises à des régimes fiscaux plus lourds car payant leur plein impôt, ce qui désavantage les acteurs nationaux face aux entreprises numériques multinationales, qui réduisent considérablement leur charge fiscale et se retrouvent faiblement taxées. Cela met en évidence l’inégalité devant l’impôt et la nécessité de repenser les régimes fiscaux.

Les réponses des pouvoirs publics nationaux et internationaux

Face à ces défis ayant révélé obsolètes les règles de taxation des entreprises particulièrement du numérique, certains pays ont réagi en adoptant des législations spécifiques pour taxer les activités numériques. Par exemple, la France a mis en place une taxe sur les services numériques (souvent appelée “taxe GAFAM”), qui impose les entreprises générant des revenus significatifs via des utilisateurs localisés sur son territoire. Cette taxe s’applique à des entreprises réalisant au moins 750 millions d’euros de chiffre d’affaires mondial, dont 25 millions en France. Cependant, ces initiatives nationales, bien que nécessaires, provoquent des tensions commerciales, notamment avec les États-Unis, par la prise des contre-mesures ou des sanctions économiques. De plus, elles ne suffisent pas à elles seules à résoudre les défis posés par l’économie numérique à l’échelle mondiale.

C’est ainsi que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le G20 ont joué un rôle prépondérant dans la coordination des efforts pour réformer la fiscalité des entreprises multinationales. Le Plan BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), lancé en 2013, vise à lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices dans des États à faible imposition.

© OCDE

Plus récemment, l’accord sur un impôt mondial minimum de 15% pour les entreprises multinationales, signé par 137 pays, représente une avancée majeure pour assurer que les géants du numérique payent leur juste part d’impôts. Ce cadre, composé de deux piliers, cherche à répartir plus équitablement les droits d’imposition entre les pays et à empêcher les stratégies d’évitement fiscal.

  • Le pilier 1 concerne la réallocation des bénéfices des grandes entreprises, en fonction de la localisation des utilisateurs.
  • Le pilier 2 introduit un taux d’imposition minimum mondial de 15 %, afin de garantir que les multinationales payent au moins ce taux, peu importe où elles sont implantées.

Pour conclure, les défis fiscaux posés par l’économie numérique sont vastes et nécessitent une approche collaborative entre les États. Bien que certaines initiatives nationales comme la taxe française sur les services numériques soient un pas en avant, les réponses à ces défis doivent être globales et coordonnées, comme l’illustre l’accord international sur un impôt mondial minimum, sous l’égide de l’OCDE et du G20. Ainsi, le cadre inclusif des travaux pilotés par l’OCDE semble être la meilleure réponse pour lutter contre l’évasion fiscale des bénéfices réalisés par les entreprises du numérique et assurer une plus grande équité fiscale.

Freddy BASILA BULAMBO

M2 droit de l’économie numérique – Promotion 2023/2024

 

Sources :

  1. Boratto, Toward a Complete Data Valuation Process. Challenges of Personal Data
  2. Lequette, Droit du numérique, Paris, LGDG, 2024, 858 p.
  3. E. Juen et H. Tourard, L’avènement d’un droit fiscal mondial, Paris, LexisNexis, 2024, 200 p.
  4. European Parliament, Measures tackling aggressive tax planning in the national recovery and resilience plans
  5. Vie publique, Fiscalité : les enjeux soulevés par l’économie numérique
  6. Broussolle, Où en sont la taxation des entreprises numériques et la lutte contre l’évitement fiscal ?, Bulletin de l’Observatoire des politiques économiques en Europe, n° 42 (juillet 2020)
  7. Site officiel de l’OCDE

A propos de Freddy BASILA BULAMBO

En formation en master 2, droit de l'économie numérique à l'Université de Strasbourg.

Cet article a 2 commentaires

  1. KABADI Johmicah

    Merci pour la recherche. J’ai deux préoccupations, bien que n’étant fort dans le domaine de la fiscalité, j’aimerai savoir devant cette arnaque des multinationaux dans le domaine du numérique, que doivent faire les pays dont la technologie n’est pas assez avancée pour pouvoir contrôler le domaine numérique afin gagner en taxe et en impôt ? Et puis, le 15% minimun que devait payer les Eses numériques peu importe là où elles sont implantées sera t-il déduit du chiffre d’affaires mondial de l’Ese ou de son dividende en terme de la consommation de chaque pays et comment sera t-il payer?
    Merci !

    1. Freddy BASILA BULAMBO

      Je vous en prie !
      Ces pays doivent “se renforcer” : c’est une question de volonté et de souveraineté politiques.
      Elles le paieront dans chaque État où elles disposent d’une présence numérique significative.

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