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L’oubli du droit

– relecture de « la force du droit à l’oubli » de Louis-Xavier Rano 12.09.2006 –

 
La pensée de Nietzsche analyse l’opposition de l’Homme à chaque forme d’autorité. Elle procède d’un rejet du sentiment de culpabilité, l’espoir et l’émotion ne prospèrent qu’au présent. Hobbes, postulait déjà que “c’est l’autorité, non la vérité, qui fait la loi”. L’être se nourrira de son histoire pour cheminer vers ce bonheur multipolaire et évanescent qui demeure une quête personnelle ultimement sanctionnée par l’épitaphe. Selon Nietzsche, une société qui déni toute valeur à l’oubli empêche l’Homme de rechercher son bonheur. L’oubli, comme le bonheur, sont des notions impalpables, inscrites dans le temps(1).
 
Le paradoxe juridique tient au fait que classiquement, en droit, l’oubli a toujours été combattu, malgré les réticences procédurales de la plupart des systèmes institutionnels. La notion d’oubli doit être rapprochée du droit et non l’inverse. Le droit conduit à y identifier deux définitions, celles issues de la dichotomie juridique tendant à l’objectivité ou la subjectivité du sujet à l’étude.
Le droit subjectif est « la prérogative attribuée à un individu dans son intérêt lui permettant de jouir d’une chose, d’une valeur ou d’exiger d’autrui une prestation. »(2). Le droit à l’oubli constituerait un droit subjectif tacitement valorisable en l’absence de reconnaissance textuelle. Il n’existe donc qu’en combinaison avec un élément objectif.
 
Ce droit n’aura pas la même réception dans les différentes catégories de pratique juridique référencées. Il apparaît dans sa définition académique moderne sous l’impulsion d’organismes nationaux publics tels que la CNIL en France, par transposition d’une doctrine privatiste protectrice de la vie et des données privées(3). Son inspiration humaniste, icelle dérivée des textes révolutionnaires, alimente aujourd’hui un débat sur la sacralisation de ce droit éligible au rang de liberté fondamentale. En effet les récentes avancées technologiques en termes de Big Data et de dématérialisation (4) amènent naturellement à questionner la part de libertés fondamentales résiduelles matériellement laissée à l’individu interactif démuni face à l’automaticité des process interconnectés ou l’intelligence artificielle.
 
Une part importante de cette responsabilité est laissée à la charge de l’individu, pilote de ses choix. L’architecture matricielle 4.0 tend majoritairement aujourd’hui à centrer sa réflexion sur la prédation ou sa prévention. L’évolution se fera vraisemblablement, comme de raison, non de manière collaborative mais par coups, laissant à l’individu l’arbitrage de ses choix politiques, économiques et sociologiques. Le mouvement actuel est à une institutionnalisation de ce droit à l’oubli par incorporation aux dernières catégories de droit jusqu’alors imperméables à son fonctionnement. Cependant, le seul outil du droit d’accès et de rectification semble un bouclier bien inefficace face aux parades dynamiques développées par les technophiles, dans une atmosphère de rigidité institutionnelle et de propagande numérisée. L’heure est aux pénalités financières mais l’obstacle majeur reste une intégration de ce droit en réseau avec les autres définitions déjà pratiquées en droit français, européen et international. Paradoxalement ce droit dynamique se construit lui aussi sous l’impulsion de la jurisprudence(5)(6).
Le Règlement Général sur la Protection des Données lui consacre son article 17 intitulé Droit à l’effacement – ‘droit à l’oubli’. Il s’articule autour des exceptions prévues pour le respect du droit à la liberté d’expression, le respect d’une obligation légale, des motifs d’ordre public et des fins judiciaires(7).
 
Sources :

  1. Friedrich Nietzsche 1844-1900
  2. Termes juridiques, édition Dalloz , 10e, 1995
  3. La définition de données à caractère personnel est livrée dans la directive européenne du 24 Octobre 1995 et similairement dans la loi modifiée « fichier informatique et libertés » du 6 Août 2004
  4. SAS report on Big Data 2015 https://www.sas.com/content/dam/SAS/en_us/doc/research2/eiu-big-data-evolution-pdf
  5. « Costeja Case », CJUE, 13 Mai 2014
  6. Directive 95/46/EC
  7. European Data Protection Regulation draft, Article 17.

 
Pour approfondir :
 
– Un nain ne peut pas renoncer à sa dignité : Conseil d’Etat Ass. 27 Octobre 1995, commune de Morsang-sur-Orge
–  Jean-Louis Boulanger 2011 Sécurisation des architectures informatiques industrielles
– The Book of Heroic Failures, Stephen Pile, 1979  https://www.scribd.com/doc/228807480/The-  Book-of-Heroic-Failures -Traduction française.
– Afrique du Sud, Ezeani. U.P, Right to be Forgotten in Social Media
– Carter, Edward L. “Argentina’s Right to Be Forgotten.” Emory International Law Review. 27 (2013): pg 23.

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