Suite aux mises en examen survenues dans l’affaire Grégory en juin 2017 et plus de 30 ans après les faits, le public a découvert un « enquêteur » d’un nouveau genre : AnaCrim. Ce logiciel est utilisé par les 400 analystes du Service central du renseignement criminel (SCRC) et des sections de recherche de gendarmerie dans le cadre d’affaires criminelles complexes. Petit tour d’horizon.

Génèse

Initialement, « AnaCrim » désigne une méthode d’analyse criminelle avant de désigner un logiciel. En réalité, le logiciel dénommé ANB (du nom de la suite de logiciels d’IBM : i2 Analyst’s Notebook) sert de support à cette méthode. Ce logiciel d’analyse de données n’est d’ailleurs pas réservé au secteur de la justice, on le retrouve également dans le domaine du marketing chez SFR ou Canal+.
La méthode AnaCrim permet donc d’organiser et de visualiser les liens entre toutes les informations contenues dans une procédure judiciaire. L’intégralité des données est restituée sous forme de schémas à la fois évènementiels (situer les protagonistes dans le temps et l’espace) et relationnels (liens entre les acteurs).
De part son aspect innovant, AnaCrim a fait émerger un nouveau métier : celui d’analyste en recherches criminelles (ARC). Des officiers de police judiciaire ont été spécifiquement formés à l’utilisation du logiciel et ont ainsi appris à appliquer les outils informatiques aux finalités d’une enquête policière.

Capture d’écran d’I2 Analyst’s Notebook d’IBM (Anacrim-ANB)

Fonctionnement

En pratique, il suffit de renseigner dans le programme tous les éléments et indices d’une enquête : noms, lieux, photos, emplois du temps des témoins (horaires, itinéraires, déclarations successives, justifications) … Une fois la base de données constituée, le logiciel établit une chronologie des faits dans le temps et l’espace. Il permet alors de mettre en évidence d’infimes éléments, de surligner les contradictions, d’analyser des incohérences et d’émettre de nouvelles hypothèses. Grâce à lui, les policiers exploitent de nouvelles pistes et élaborent de nouvelles stratégies d’audition afin d’obtenir des aveux.

La méthode AnaCrim appliquée avant l’existence du logiciel : le tableau d’enquête “cliché” des séries américaines

Utilisation

Si la notoriété du logiciel est récente, la technologie d’AnaCrim l’est beaucoup moins puisque le logiciel est utilisé par la Gendarmerie nationale depuis 1994. Suite aux retours d’expérience en Belgique et au Royaume-Uni, la France a franchi le cap et s’est dotée de cette méthode d’analyse durant l’enquête sur Francis Heaulme. Depuis, il sert dans différents cas :

  • – pour les « cold cases », les dossiers qui tardent à être résolus, telle que l’affaire des disparues de l’Yonne
  • – pour les affaires qui présentent de nombreux protagonistes et comportent des interactions complexes (démantèlement de trafic de stupéfiants, fraude bancaire du type « Panama Papers » …).

 
Aujourd’hui, ce type d’outil s’est généralisé et tous les grands services d’enquêtes en Europe y recourent, Europol et Interpol en tête.

Un simple assistant

Il ne faut pas s’y méprendre, AnaCrim ne remplace pas les enquêteurs. Il les aide à ne pas se noyer sous la masse d’informations contenue dans les dossiers et accumulée pendant des années. Par exemple, dans l’affaire Gregory, ce ne sont pas moins 12 000 procès-verbaux, 2 000 lettres anonymes, des centaines de témoignages et d’auditions réalisées. Grâce à son algorithme, AnaCrim fait des liens qu’un cerveau humain n’est pas capable de réaliser face à une telle quantité de données.
De plus, l’analyse criminelle n’est pas systématique, elle doit être demandée expressément par les magistrats. Les analystes, enquêteurs et juges déterminent conjointement une stratégie de travail et les analystes sélectionnent ensuite indépendamment les données nécessaires à l’analyse. En définitif, la réflexion et les choix humains restent prépondérants.
 

“AnaCrim ne serait rien sans intelligence humaine, le rôle des analystes est fondamental.”
Olivier Kim, Général de brigade
 

A propos de Chloé MAIRE