Digitalisation, virtualisation, dématérialisation… Les spécialistes des NTIC n’ont de cesse d’encourager les entreprises et les commerçants à  transposer leur activité du monde physique au monde virtuel. Pourtant, les exemples d’entreprises prenant ce mouvement à contrepied se multiplient depuis quelques années. Les Pures Players, géants du web, basant leur attractivité tarifaire sur le fait qu’ils ne disposent pas de points de vente physiques, sont de plus en plus nombreux à créer des boutiques dans le monde réel.
Cette tendance, discrète, a de quoi surprendre. Mais on a du mal à imaginer que ces mastodontes du commerce en ligne empruntent cette voie sans raison. Se réinventer ? Toucher une nouvelle clientèle ? Développer leur image de marque ou l’expérience client ? Créer un nouveau modèle économique autour d’une complémentarité physique/Internet ? On peut en effet se demander quels intérêts trouvent ces pures players et si cela aura un impact significatif sur la façon d’imaginer le commerce de demain.
 
Capture (caddie)
 
Mais avant de réfléchir à l’avenir du commerce et du marketing, il convient de rappeler en quelques lignes l’histoire du commerce moderne.
Au départ, le commerce de détail traditionnel se faisait exclusivement en boutique physique. Le client devait se déplacer pour découvrir les offres des marchands et effectuer ses achats. En parallèle, des commerçants itinérants choisissent de se rapprocher de leurs prospects en installant leur boutique pour une courte durée sur les places des villes et des villages, regroupés en marchés ou en foires.
 
Plus tard, avec la démocratisation des moyens de transports et des camions, des marchands ont décidé d’apporter la boutique directement au domicile du client pour leur proposer leurs produits. Cette stratégie s’est surtout développée en zones rurale, visant les personnes à mobilité réduite.
Puis un phénomène est venu bouleverser la conception traditionnelle du commerce qui supposait la rencontre du commerçant et de ses clients en réel. Il s’agit du commerce à distance par catalogue, aussi appelé vente par correspondance. Cette forme de vente vient transformer les conceptions de la relation client, mais aussi de l’expérience client. Le marchand ne peut plus compter sur son vendeur pour faire la promotion d’un produit, et le client ne peut plus demander conseil ou même négocier avec ce même vendeur. Il a donc fallut réorganiser la communication autour des produits, repenser la publicité. Mais au fil des ans le pari se révèle gagnant, et des sociétés comme 3Suisses, La Redoute ou Editions Atlas finissent par dominer un marché qui connait son apogée à la fin des années 1990 :

  • 1996 : 90 millions de catalogues de vente par correspondance sont distribués par La poste en France et environ 10,4 millions par des sociétés privées.
  • 1998 : Un foyer sur deux achète à distance, le chiffre d’affaires de la VAD connaît une croissance de 4,1 %. 80 % de la VAD s’effectue par catalogue.

 
Mais l’inconvénient majeur de ce système de catalogue s’est révélé être : le catalogue lui-même. Une étude américaine[1] a révélé que les vendeurs à distance consacraient 26,1 % de leur chiffre d’affaires aux dépenses marketing au sens large, dont près de la moitié pour la production et l’expédition du catalogue. Il s’agissait donc d’un pôle de dépense non-négligeable, et nous ne parlerons pas de l’impact écologique d’une telle débauche d’impressions. De plus, la présentation de l’offre par catalogue est standardisée, saisonnière et ne bénéficie d’aucune personnalisation vis-à-vis du client.
 

Une Révolution portée par l’avènement et la démocratisation de l’accès à Internet

Une innovation technologique révolutionnaire va apporter avec elle des solutions à tous ces inconvénients, il s’agit de l’Internet. Les sites marchands ne tardent pas, en effet, à fleurir sur le Web. Dès 1995, le site Amazon vend en ligne son premier livre aux Etats-Unis, “Fluid Concepts & Creative Analogies: Computer Models of the Fundamental Mechanisms of Thought” de Douglas Hofstadter. La France prend un peu de retard, et en 1999, les ventes par minitel sont encore sept fois plus importantes que les ventes sur le web, qui s’élèvent tout de même à 280 millions d’euros.
Les choses s’accélèrent dès 2000 avec l’ouverture d’Amazon.fr, accompagné d’autres pure players comme Price Minister et Ebay. Finalement le retournement de situation aura été brutal : en 2002, les vendeurs à distance traditionnels ne représentent plus que 18% du marché de la vente à distance. Les 82% de part de marché restantes sont alors passées aux mains des pures players, dont les produits de prédilection sont les biens culturels et multimédias (Amazon), le matériel informatique, l’électroménager, la téléphonie (free.fr), et les produits de santé. Par la suite, et malgré l’ouverture de sites marchands par certains acteurs de l’économie traditionnelle comme la Fnac, les Pure Players sauront conserver leur place au sommet de la chaîne alimentaire du e-commerce.
Mais alors que ce modèle économique du Pure Player semble avoir fait ses preuves, de plus en plus d’entreprises se mettent à ouvrir des points de vente physiques. C’est notamment le cas d’Amazon, Free.fr, Spartoo, Promovacances, Showroomprivé.com, Fitness Boutique…
Si cette tendance se confirme, elle mettrait en évidence une certaine ironie dans l’évolution du commerce, et notamment celui du livre, en ce début de 21e siècle: En effet, c’est finalement le géant du web Amazon, artisan de la disparition de nombreuses librairies de quartier, qui se met lui même à créer ses propres librairies Amazon Books… La boucle est bouclée.
 
Cette nouvelle tendance du e-commerce est illustrée plus en détail dans mon article La “re-matérialisation des Pure Players, nouvelle tendance du e-commerce?” que vous pourrez retrouver sur blog économie numérique.
[1] Benchmark Survey on Critical Issues and Trends mené par la revue américaine Catalog Age en 2003
 
AntIMGP9119oine CONAN
Etudiant en M2 Droit de l’Economie Numérique à l’Université de Strasbourg.
Passionné par les nouvelles technologies et les problématiques qu’elles engendrent, notamment celles touchant à la propriété intellectuelle et aux données personnelles. Je porte également un vif intérêt à l’actualité web et vidéoludique.
Curieux de tout, je m’intéresse à l’art sous toutes ses formes et pratique la photographie en amateur.
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