La France s’est dotée depuis le 24 juillet 2015 d’une loi permettant la mise en place de systèmes de surveillance afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme et plus généralement pour faciliter le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation.

Ce qu’il faut retenir de la loi relative au renseignement

 Cette toute nouvelle loi, est définitivement entrée en vigueur depuis l’adoption de son premier décret d’application le 1er octobre 2015 avec la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), scellant le point de départ des décrets successifs. Cette loi a pour ambition de donner un cadre légal aux services de renseignement français, ceux-ci usant de dispositifs de surveillance non légalement définis.
 

          Des dispositifs intrusifs dans la vie privée des français

La loi définit le champ d’application dans lequel les services de renseignement sont autorisés à recourir à des techniques d’accès à l’information.
Les techniques de recueil de renseignements, seulement permises dans un cadre judiciaire, c’est-à-dire sous l’autorité d’un juge garant des libertés individuelles, sont désormais étendues aux services de renseignement, hors procédure judiciaire. Ils peuvent après autorisation donnée par le premier ministre et sur avis de la CNCTR procéder au :
balisage de véhicule, sonorisation de lieux privés (micros), captation d’images dans des lieux privés, captation de données informatiques, accès aux réseaux des opérateurs de télécommunications pour le suivi d’individus identifiés comme présentant une menace terroriste.
On y retrouve les imitateurs d’antennes relais, les IMSI catcher, qui permettent d’aspirer les conversations dans un périmètre donné par des agents habilités.
Et surtout un dispositif d’analyse automatique des données – les fameuses boîtes noires – qui sont installées chez les intermédiaires techniques afin de surveiller le trafic et de détecter des comportements suspects. Cette technique de recueil de renseignement particulièrement attentatoire à la vie privée connaît comme seule limite le cadre de la lutte contre le terrorisme. Tous les usagers d’Internet sont susceptibles de faire l’objet de cette surveillance, la sonde ne se préoccupant pas de la fonction que vous exercez, que vous soyez avocat, journaliste ou simple citoyen.

Des finalités floues

Les textes nous rappellent que ces techniques sont strictement encadrées à des circonstances exceptionnelles et autorisées uniquement pour des personnes définies et habilitées.
En effet, ces techniques ne doivent être utilisées que pour le seul exercice des missions des services spécialisés de renseignement pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation.
La loi les énumère limitativement comme :
1° L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;
2° Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;
3° Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;
4° La prévention du terrorisme ;
5° La prévention :
a) Des atteintes à la forme républicaine des institutions ;
b) Des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous en application de l’article L. 212-1 ;
c) Des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;
6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;
7° La prévention de la prolifération des armes de destruction massive.
 
Si la loi énumère limitativement les principes et finalités de la politique publique de renseignement, on peut regretter que celles-ci soient floues eu égard au danger de surveillance généralisée qu’elle instaure. On aurait pu espérer une définition moins évasive, ces mesures vont perdurer dans le temps, sans définir strictement les circonstances dans lesquelles elles peuvent être autorisées. Sans l’intervention du juge judiciaire à aucun moment dans la procédure, on est en droit de s’inquiéter d’une intrusion de plus en plus forte dans notre vie privée. Aujourd’hui nous faisons face à des circonstances exceptionnelles, mais ces mesures n’ont pas vocation à s’utiliser en des temps exceptionnels, elles ont vocation à durer et à survivre aux différences de gouvernance.

La loi a prévu un seul garde fou qui rend un avis non contraignant

C’est la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) qui a la lourde tâche de donner son avis sur les mesures de surveillance. Cependant ses membres sont en nombre limité et elle ne dispose que d’un simple avis.
En effet, les ministres de l’Intérieur, de la Défense ou Bercy peuvent demander à recourir à une mesure de surveillance, ils en informent le premier ministre qui va demander son avis à la CNCTR, elle a 24h pour donner son avis. Si elle ne répond pas dans les délais, son avis est réputé rendu et favorable. Cette commission est composée de 9 membres, qui peuvent saisir le Conseil d’Etat, dans le cas d’un différent. Rappelons qu’un seul membre de la Commission a des compétences techniques – un membre désigné au sein de l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes) – on peut imaginer sa charge de travail lorsqu’il faudra vérifier la portée des données collectées.
De plus, le contrôle du Conseil d’État sur la mise en œuvre des techniques de renseignement se fera a posteriori de la mise en place de la surveillance, sur saisine de la CNCTR ou d’un administré. Il encadre les accès aux données de connexion et des interceptions de sécurité et détermine les conditions de recours à des appareils permettant la localisation, la sonorisation de lieux et de véhicules, ainsi que la captation d’images et de données informatiques.
Le statut de la CNCTR et celui du Conseil d’Etat ne sont pas anodins, ce sont des organes administratifs. Tous les pouvoirs sont rassemblés dans les mains de l’exécutif. Le juge judiciaire garant des libertés individuelles a été écarté de toute la procédure.
Nous avons franchi un cap important dans la mise en place de mesures liberticides, et avec celles-ci la création d’un déséquilibre entre sécurité et protection des libertés individuelles.
 
Célie Zamora,
étudiante en Master 2 Droit de l’économie numérique à l’Université de Strasbourg.

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