Avec des centaines de millions d’utilisateurs quotidiens, YouTube est devenu le troisième plus gros site du monde. Mais quand l’équivalent de vingt-quatre heures de vidéo est mis en ligne chaque jour, il est normal que le site subisse des violations de son règlement et du droit d’auteur. Films, concerts, séries, albums – il est possible de tout trouver sur YouTube. Comment le site fait-il pour lutter face à cette masse de contenu illégal ? Et surtout, le fait-il bien ?

youtube éthique(Images et logos : Wikimedia)

 

Le Content ID, chien de garde de YouTube

Si les utilisateurs de YouTube sont mis à disposition pour signaler le contenu violant le droit d’auteur, il faut reconnaître qu’il est humainement impossible de regarder l’ensemble du contenu mis en ligne sur le site chaque jour. A titre de comparaison, il faudrait près de quatre-vingt ans à une personne pour regarder toutes les vidéos mises en ligne en environ deux heures – mission impossible donc.
Pour contrer cela, YouTube a mis en place en décembre 2013 un nouveau système automatique appelé Content ID (que l’on peut traduire en français en « identificateur de contenu »). Ce système permet de détecter automatiquement du contenu protégé par le droit d’auteur dans les vidéos mises en ligne. Pour cela, YouTube demande aux détenteurs des droits sur ces œuvres de lui fournir des enregistrements afin de pouvoir les comparer avec les vidéos des utilisateurs. Parmi les plus gros groupes travaillant sur ce système avec YouTube se trouvent Sony, EMI ou encore Nintendo.
En plus de fournir des enregistrements (audio ou vidéo) à YouTube, les détenteurs de droits donnent également des directives au site. En conséquence, lorsqu’une vidéo mise en ligne utilise du contenu d’une de ces identités, une action automatique aura lieu : la vidéo peut être bloquée (totalement ou seulement dans certains pays), autorisée ou seulement déchue de sa monétisation, privant le vidéaste de ses revenus sur cette vidéo. Sur le papier, cette fonctionnalité semble intéressante, mais en pratique, elle reste, deux ans plus tard, assez critiquée par les internautes, notamment pour sa brutalité.

Un problème d’éthique ?

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Portrait de Doug Walker / Nostalgia Critic par Plabrozzi (http://plabrozzi.deviantart.com)

« Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » : le Content ID est-il bien utilisé sur YouTube ? Il est vrai qu’il serait tentant pour les détenteurs de droits d’en abuser pour préserver leur image ou celle de leurs produits sur Internet. Prenons l’exemple de Doug Walker, aussi connu sous le nom de The Nostalgia Critic sur Internet. Walker est un vidéaste américain, spécialisé dans la critique de films, et dont l’influence n’est plus à démontrer au vu de ses très nombreux abonnés et de l’inspiration qu’il a suscité à d’autres créateurs. Cependant, certaines de ses vidéos sont systématiquement retirées de YouTube par les studios de cinéma, l’obligeant à les remettre en ligne tout aussi souvent. On pourrait bien penser qu’il ne s’agit que d’un problème de droit d’auteur, mais il est possible qu’il s’agisse de tout autre chose.
En effet, les vidéos de Walker les plus visées concernent des films ayant reçu une critique négative de la part du vidéaste. Les studios ont demandé à ce que les vidéos soient retirées sur le fondement d’une atteinte au droit d’auteur, mais il est légitime de se demander si ce n’était pas plutôt pour améliorer l’image et la réputation du (des) film(s) en question.
Supprimer une vidéo peut donc paraître tentant pour un studio qui souhaiterait éviter qu’un de ses films soit entaché par une critique virulente. Bien au contraire, cela semble être une opportunité pour un distributeur de voir son film atteindre un nouveau marché de façon gratuite. Walker explique lui-même que certains films, même les plus mauvais, bénéficient de cette publicité gratuite, par exemple lors de leur sortie en DVD et Blu-ray. Ceci pose donc un problème par rapport à la liberté d’expression sur Internet, car l’utilisation du système de Content ID est détournée de son but original et sert à censurer les vidéastes, chose contraire au règlement de YouTube.

Vers des solutions équitables ?

Réussir à faire cohabiter encouragement de la création et protection du droit d’auteur semble être une mission ardue – mais pas impossible. YouTube met en avant l’utilisation d’œuvres libres de droit, qu’elles soient publiées sous licence Creative Commons ou tombées dans le domaine public (des sites comme Archive.org recensent justement ce type d’œuvres). YouTube dispose de sa propre bibliothèque audio, avec des pistes musicales et des effets sonores réutilisables librement par les vidéastes.
Le droit des pays de Common Law semble nous donner une piste intéressante. En effet, les vidéastes américains disposent d’une exception de fair use (en français, « usage loyal ») qui leur permet d’utiliser de façon limitée des extraits d’œuvres protégées par un copyright (équivalent anglo-saxon du droit d’auteur). Seule condition : la vidéo doit être une critique, une parodie ou un commentaire de l’œuvre originale. Un fair use à la française permettrait de réguler l’activité des « YouTubeurs » et de protéger les droits des vidéastes et des artistes, tout garantissant une base légale à leur activité.
Enfin, une requalification du statut de YouTube en tant qu’hébergeur-éditeur (comme pour tout site éditant du contenu, tel Facebook) a été discutée début 2015. Le statut d’hébergeur de YouTube ne l’oblige légalement qu’à retirer le contenu violant le droit d’auteur ou présentant un caractère violent. Malheureusement, ce projet semble ne plus être d’actualité et donc loin de se concrétiser.
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AlexandreMoureyAlexandre MOUREY (@AlexandreMourey) est étudiant en Master 2 de Droit de l’économie numérique. Passionné par le monde des nouvelles technologies et de l’audiovisuel, il participe à de nombreux projets sur Internet, notamment avec l’association FFL Production.

A propos de Alexandre Mourey