Après les attaques revendiquées par “l’Etat Islamique” en France, en Angleterre et aux États-Unis, les gouvernements occidentaux songent à demander le soutien des grandes entreprises du Web dans la lutte contre le terrorisme.

La prise de parole des hauts dirigeants américains.

Le 2 décembre 2015, plusieurs personnes sont décédées lors d’une fusillade à San Bernardino près de Los Angeles. Quelques jours plus tard, le président des États-Unis, Barack Obama a tenu un discours depuis la maison Blanche pour rassurer la population. En effet, depuis les attentats du 11 septembre 2001 et l’important renforcement de la sécurité qui en a découlé, le territoire américain ne semblait plus craindre la menace terroriste sur son sol. Aujourd’hui, le pays doit faire face à un risque d’attaque qui vient de l’intérieur, en raison de la possible radicalisation de certains concitoyens. Pour lutter contre cette radicalisation et le terrorisme, M. Obama a abordé la question du Web et de la “responsabilisation” de ses acteurs. Arguant qu’ “Internet efface les distances entre les pays”, il invite les “leaders de la high-tech et de la police à rendre plus difficile pour les terroristes le fait d’utiliser la technologie pour échapper à la justice”.
Ce discours, encore peu clair sur les initiatives à prendre en matière de nouvelles technologies, résonne avec celui tenu un peu plus tôt par la candidate à l’investiture démocrate, Hillary Clinton.
Celle-ci constatait que l’ “État Islamique” utilise les réseaux sociaux et les forums pour recruter, appeler à commettre des attentats et parfois même à faire l’apologie du terrorisme en partageant des exécutions. Il fallait ainsi, selon elle, inciter les grandes entreprises qui hébergent les contenus à collaborer avec les autorités pour couper leurs moyens de communication et les « priver de territoire virtuel ». Partant du constat que l’ “État Islamique” est le premier recruteur au monde, Hillary Clinton avançait que les géants du Web doivent bloquer ou fermer les sites et vidéos militantes.
Ces vagues prises de position, sur la stratégie à suivre en matière de lutte antiterroriste de la part de l’actuel président et de la future candidate, risquent d’être contrées par ceux qui sont attachés au Premier amendement de la Constitution et à la liberté d’expression.
Quoi qu’il en soit, les firmes technologiques ne peuvent agir seules et doivent nécessairement collaborer avec les agences gouvernementales pour aborder l’augmentation de la menace terroriste en ligne.

Une collaboration difficile à mettre en œuvre.

Suite aux attentats du 13 Novembre à Paris, Facebook a mis en place le système du “safety check” qui permettait de notifier à l’entourage des personnes présentes dans la capitale qu’ils étaient en sécurité. Pour rendre hommage aux victimes et soutenir la France, l’entreprise a ensuite permis aux utilisateurs de rajouter un drapeau tricolore sur leur photo de profil.
Plus que sur ces simples mécanismes, c’est avant tout sur la gestion du contenu qu’elles hébergent, que les grandes entreprises de la Silicon Valley sont attendues. En effet quelques semaines après les attaques, une pétition intitulée “Merci Facebook pour le safety check, mais contre Daesh vous pouvez mieux faire” a été lancée pour inciter la firme de Palo Alto à censurer les vidéos faisant l’apologie du terrorisme.
Revient alors la question de la liberté d’expression. Les géants du web ne voulant pas se positionner en censeurs idéologiques ils avancent que bien qu’il soit évidemment aisé et logique de retirer des vidéos de décapitation, il est plus difficile de retirer des critiques de l’Occident et des appels au djihad.
Après avoir été signalée, une vidéo de deux djihadistes belges appelant à commettre des attaques en Europe est restée en ligne sur Facebook aux motifs qu’elle n’enfreignait pas les règles des “standards communautaires” de la firme. Ceux-ci sont clairs ; “Facebook supprime tout discours incitant à la haine”, avec la nuance que partager une vidéo de haine pour la dénoncer ne signifie pas forcément la cautionner. Il faut ainsi balancer la sécurité et le risque d’endoctrinement avec la liberté et l’information.
Il devient donc difficile de déterminer si un contenu fait l’apologie du terrorisme et est ainsi illégal. Tel fût le cas notamment de la photo montrant le massacre du Bataclan qui, bien qu’extrêmement violente, n’a pas encore disparu de la toile.
Monika Bickert, directrice mondiale de la politique de gestion des contenus de Facebook a répondu le 9 décembre à la pétition lancée en disant que le blocage de l’ensemble des contenus choquants empêcheraient les médias et les autres acteurs de témoigner de raconter ce qu’il se passe dans le monde. Selon elle, l’une des meilleures armes dans la lutte contre le terrorisme en ligne est l’aide des utilisateurs. Ainsi, certaines photos violentes ou choquantes peuvent être partagées “à l’unique condition que les utilisateurs expriment clairement une volonté de sensibiliser les gens et de condamner la violence”. De plus, après s’être fait reprocher de ne pas supprimer certains contenus assez rapidement, Facebook a consolidé ses équipes de surveillance qui examinent les contenus 24h/24 et 7j/7.

Une volonté identique de responsabiliser ces acteurs en France.

En déplacement à San Francisco en février dernier, le ministre de l’intérieur français Bernard Cazeneuve a rencontré les dirigeants des grandes entreprises numériques de la Silicon Valley (Facebook, Google, Twitter, Microsoft) pour les inviter à participer à la lutte contre le terrorisme en ligne et ainsi leur faire comprendre que certains d’entre eux ont des responsabilités.
Le ministre s’est prononcé en faveur d’un renforcement de la collaboration de ces firmes et des pouvoirs publics pour lutter contre “l’endoctrinement sectaire”, la propagande et contre le recrutement terroriste sur Internet. Il souhaite en outre que soit développer des contre discours à la radicalisation et que les réseaux sociaux, décisifs dans la coordination pour le passage à l’acte, soient plus contrôlés.
Plus récemment, Xavier Bertrand a dénoncé “l’imam Google” qui selon lui, est le principal responsable de la radicalisation des jeunes. Twitter, selon le ministre hébergerai “plus de compte radicaux que de combattants dans l’État Islamique”
Le 19 novembre, l’Assemblée nationale a voté un amendement qui permet au ministère de l’Intérieur d’ “assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie”.
Le 4 décembre, une note interne du ministère fait état d’un certain nombre de mesures souhaitées en matière d’accès aux données de connexion et aux communications téléphoniques et Internet.
Quoi qu’il en soit, depuis l’affaire Snowden sur les révélations de la surveillance de masse par la National Security Agency (NSA), on sait que les géants d’Internet essayent de transmettre une image positive auprès de leurs utilisateurs en matière de protection des données personnelles en utilisant la technique du chiffrement. Technique qui complexifie la surveillance des internautes et rend ainsi problématique la lutte contre le terrorisme en ligne.
 

Mehdi Taieb,
Étudiant en master 2 Droit de l’économie numérique à l’Université de Strasbourg

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