HADOPI : un bilan mitigé après 5 ans d’existence
La mise en place de la loi HADOPI a débuté au premier trimestre de l’année 2010. En cette fin d’année 2015, il est temps de faire un bilan, et de voir si cette dernière a eu l’effet escompté, autant d’un point de vue juridique qu’économique.
La dimension juridique
À une époque où le téléchargement est devenu monnaie courante, l’HADOPI (Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur l’Internet), a été créée le 12 juin 2009 par la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (dite loi HADOPI). Cette autorité administrative protège les œuvres sur Internet, favorise le développement d’une offre légale et régule les solutions techniques de protection.
La loi HADOPI a notamment mis en place le principe de la riposte graduée, appelée aujourd’hui « réponse graduée » qui se déroule en différentes étapes.
La première recommandation – l’avertissement – informe l’abonné :
• Des faits qui lui sont reprochés
• De son obligation de surveillance de son accès à Internet
• De l’existence de moyens de sécurisation
• De l’existence d’offres légales disponibles sur le marché.
Pour un particulier, la sanction maximale encourue est de 1500€. La sanction est donc uniquement pécuniaire, mais initialement la suspension d’accès à Internet pouvait également être prononcée. Cette suspension a été supprimée par un décret du 8 juillet 2013. Au final, un seul abonné a été sanctionné de la sorte depuis la création de la loi HADOPI (juin 2013).
Cette réponse graduée a pu effrayer au début les internautes, mais peu nombreux sont ceux qui ont été sanctionnés, entre septembre 2010 et septembre 2015 :
• 5,5 millions de mails ont été envoyés
• 2844 personnes ont été jusqu’à la 3e phase
• 2336 délibérations
• Dont 400 transmissions
Ces chiffres peuvent être interprétés de deux façons :
• Eric WALTER (ancien secrétaire général de l’HADOPI) cette statistique très faible prouve l’efficacité de la réponse graduée «Si on avait voulu des transmissions massives, il aurait fallu écrire un autre texte, une autre loi. Celle-ci, telle qu’elle est faite, est fondée sur un principe essentiellement pédagogique qui vise non pas à transmettre à la justice mais justement à tout faire pour ne pas avoir à transmettre ». Il a été licencié et ne travaille plus à l’HADOPI depuis le 1er août 2015, s’étant vraisemblablement opposé aux grands de l’industrie du cinéma après avoir dit que «Le piratage est la conséquence de la carence de l’offre légale ».
• En effet, les internautes utilisent d’autres moyens de téléchargement que le peer to peer (P2P, échange de pair à pair) ou les torrents, comme le téléchargement direct. Ils utilisent aussi des VPN (permettant de changer d’adresse IP), ou ne téléchargent pas de fichiers français (la plupart du temps ce sont des ayants droit français qui font la constatation de faits et font rédiger un PV).
Qu’en est-il de la dimension économique ?
L’économie du web est basée sur la cohabitation de deux systèmes. L’un est basé sur la coopération et le partage, et l’autre est basé sur les forces du marché et la concurrence. C’est le premier système qui va nous intéresser.
Dans l’économie du partage, le comportement des individus peut être influencé par autre chose que le gain. Leur comportement est induit par celui des autres. Leur plaisir passe par l’échange d’informations comme dans toutes les communautés dédiées aux échanges d’informations : Wikipédia, Torrent411 (Torrent411 ou t411 est un réseau P2P).
Les réseaux P2P reposent sur le principe du partage. Dans une communauté existant sur la base du volontariat, celui qui télécharge doit s’assurer de diffuser afin de garantir la pérennité du système. Certaines communautés mettent en place des systèmes de ratio, permettant d’exclure celui qui télécharge sans partager : « l’upload » (mise à disposition) devient aussi important que le « download » (téléchargement). Le P2P s’est fait connaître grâce à des applications comme BitTorrent, eMule qui ont pu émerger selon le modèle de réseau P2P.
Le P2P est interdit et surveillé par l’HADOPI, mais des méthodes faciles d’accès existent pour contourner la loi et éviter de se faire repérer : VPN, streaming.
Malgré la lutte contre le téléchargement, celui-ci explose, que cela concerne la musique ou les films. Le prix des places de cinéma n’a jamais été aussi élevé, pourtant leur fréquentation ne cesse d’augmenter. Selon le CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée) : sur l’ensemble de l’année 2014, la fréquentation des salles de cinéma augmente de 7,7 % pour atteindre 208,43 millions d’entrées soit le 2e plus haut niveau depuis 47 ans (211,5 millions d’entrées en 1967 et 217,2 millions en 2011). Les chiffres sont en légère baisse sur l’année 2015, moins 3,9%, mais restent élevés. Les gens continuent donc à aller au cinéma malgré la possibilité de télécharger.
De plus, on remarque chez les jeunes une nouvelle tendance privilégiant l’achat de places de concert entre 30 et 130€ (95€ pour Lady Gaga et 130€ pour Mylène Farmer au Zénith de Strasbourg) plutôt que l’achat de l’album de l’artiste. Ils vont aller aux concerts acheter éventuellement des goodies (produits dérivés), autre manière de rémunérer l’artiste. Par contre, ils vont télécharger l’album illégalement. Cette nouvelle forme de consommation risque d’induire la disparition progressive des appareils leur permettant de lire des CD au profit de l’USB (l’USB étant présent partout : box, chaine hifi, télévision, ordinateur).
Outre la surveillance du téléchargement, l’HADOPI a permis l’évolution de la législation et a ainsi réduit la période entre la sortie d’un film au cinéma et sa sortie en DVD/Blu-ray. Ce délai de 6 mois est maintenant passé à 3 mois. Elle a permis également la progression de la VOD (Video On Demand), achat d’un film (à l’unité) que l’on va visionner.
Le téléchargement résulte avant tout d’un changement de mentalité. Les internautes sont aujourd’hui habitués à télécharger et ne peuvent, pour la plupart, s’en passer. Beaucoup se posent la question d’une licence globale. Pendant longtemps, ce sujet a fait débat, le problème de la rétribution aux différents ayants droits étant difficile à mettre en place. Mais n’est pas pour autant impossible.
En résumé, actuellement, nombreux sont ceux qui parient sur la disparition progressive de l’HADOPI. Le départ de son secrétaire général et la réduction de son budget nourrissent les suppositions les plus pessimistes. Peut-on pourtant vraiment croire à sa fin ?
Pour en savoir plus :
- Point presse, chiffres clés de la réponse graduée 2015 : ici
Etudiante en Master 2 Commerce Electronique, déjà titulaire d’un Master 2 en Droit du numérique obtenu à l’Université de La Rochelle. Passionnée par les nouvelles technologies et leurs impacts sur notre société.