Le concorde était, même pour les néophytes du milieu de l’aviation, bien plus qu’un simple avion : il symbolisait le fleuron de l’excellence française dans le secteur de l’aéronautique. Avec son crash, le concorde a disparu : de toute façon trop coûteux de base, pas assez rentable à l’arrivée, l’avion supersonique a baissé le nez au profit des gros porteurs classiques de transport aérien de passagers. Mais voilà que 15 ans après sa mort, Airbus dépose un brevet d’avion supersonique qui pourrait bien impacter l’économie tant aérospatiale que numérique.

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Après le plus gros, maintenant le plus rapide ?

Avant toute chose, il faut tenter de calmer le feu passionné qui sommeille dans chaque petit Blériot : il est encore aujourd’hui strictement impossible de se prononcer sur la chance éventuelle de voir garer un tel engin sur un tarmac (on en reparlera éventuellement dans une dizaine d’années). Cependant, toutes les données issues de ce projet proviennent d’un dépôt de brevet effectué par Airbus le 14 juillet 2015 aux Etats-Unis. En effet, la société européenne, qui a titré son brevet en les termes de « véhicule aérien ultra-rapide et méthode associée pour le transport aérien », explique l’avion envisagé ainsi que les technologies qui le composent. Dans un premier temps, le prototype (cf. image ci-dessus) embarque quatre moteurs-propulseurs et son fuselage inclue une aile delta gothique. Le brevet met ainsi en exergue un engin qui pourrait atteindre Mach 4.5. Pour information, le Concorde faisait le trajet Londres-New York en environ 3 heures. Une telle vitesse du prototype réduirait le trajet à une heure par l’atteinte d’une vitesse maximale de 5500 km/h.

Le brevet explicite également d’autres caractéristiques intéressantes. En outre, le prototype pourra accueillir une bonne vingtaine de personnes avec des rangées de quatre sièges : on est donc loin du gros porteur pour se concentrer dans cet esprit traditionnel « concordien » qui lui a malheureusement valu sa perte. Le projet s’attarde également sur une caractéristique intéressante : le souhait d’atténuer le bruit provoqué par le passage du mur du son (ou lorsque la vitesse dépasse Mach 1). Pour ce faire, Airbus décrit un plan de vol assez novateur pour un avion de transport de personnes, soit un décollage vertical avec un vol de croisière en altitude normale et une redescente vers le lieu d’atterrissage. Avec un tel plan de vol et à une telle vitesse, on espère déjà qu’ils ont pensé à une manière d’accrocher les tartes flambées …

Performances excellentes, rentabilité catastrophique ?

A supposer qu’un tel engin arrive sur le marché, quel serait son impact tant sur l’économie du transport aérien des personnes que sur celle du numérique ? D’une part, il est à noter que le brevet semble revêtir une configuration économique à celle qu’avait le concorde, à savoir un faible nombre de places au profit d’un billet à coût certainement bien plus élevé. Actuellement, un billet entre Londres et New-York coûte environ 900 euros en moyenne. Si l’on suit une logique économique basée sur le nombre de places disponibles pour rentabiliser le vol de l’appareil, un avion disons « standard » (prenons un airbus A320 par exemple) dispose de 200 places. Avec 20 places inclues dans le prototype, vous multipliez donc le prix par 10 ce qui vous donne un billet à … 9000 euros, quand même ! Le marché parait donc extrêmement restreint, car même l’homme d’affaires qui doit être en urgence de l’autre côté de l’Atlantique ne débourserait certainement pas une telle somme. Ainsi, même si le brevet prévoit une application militaire du projet, on peut se demander si la logique économique est viable. Si EADS souhaite le concrétiser, il peut également le faire dans une pure logique (également concordienne) de pure démonstration technologique quand bien même l’engin coûterait bien plus qu’il ne rapporte.

En matière de numérique, un tel projet pourrait, à contrario, permettre une recrudescence des entreprises de haute technologie et notamment des budgets alloués de façon bien plus conséquente concernant la recherche. L’appareil nécessitera d’une part une électronique embarquée de pointe, le cockpit des airbus étant fabriqué par … la France (cocorico). Avec le projet de Nouvelle France Industrielle qui souhaite promouvoir les industries en lien avec le Numérique, le prototype précité pourrait permettre d’accélérer le processus pour aboutir à ce rêve d’une french-tech reconnue et réputée. De plus, des récentes motivations internationales souhaitent pouvoir faire bénéficier les passagers aériens d’une connexion internet. Or à une telle vitesse de croisière, il apparait certainement bien complexe de pouvoir connecter de façon stable un appareil qui va 5 fois plus vite qu’un Boeing 747, notamment si une telle connexion n’a pas encore atteint un seuil de maturité.

Chérie, tu as pris ma combinaison anti-G ?

Revenons rapidement sur le plan de vol tel que décrit dans le brevet : le prototype est donc prévu pour faire un décollage de façon verticale, atteindre 35 000 pieds pour adopter une vitesse de croisière, puis redescendre bien plus verticalement qu’un appareil classique pour atterrir (et tout ça à plusieurs milliers de km/h, bien entendu …). Dans un premier temps, oui, les tartes flambées risquent de perdre facilement leurs lardons, mais qu’en est-il également de la sécurité physique des voyageurs ?   Votre professeur de lycée vous a certainement parlé des vecteurs de force qui s’appliquaient sur tout objet. Prenez donc la somme des vecteurs de forces non gravitationnelles et vous obtiendrez une unité d’accélération dite « g ». Le g est une composante fondamentale en aéronautique (notamment dans l’aviation de chasse militaire) puisqu’elle influe sur le corps humain. Sans rentrer dans les détails, vous obtiendrez un effet de « voile noir » en cas d’ascension soumise à trop de g et de « voile rouge » lors de la descente trop abrupte, ce qui cause respectivement une éventuelle perte de connaissance et une accumulation de sang trop importante dans la tête.

Certes les ingénieurs d’EADS ont certainement le bon sens de ne pas mettre en danger les passagers, mais ces derniers devront-ils alors être soumis au port d’une combinaison anti-G ? Une réflexion s’engage : puisque ce projet s’oriente vers du transport aérien « ultra rapide », pourquoi EADS ne chercherait-il pas à grignoter le marché tant fantasmé du vol suborbital ? En effet, une distance de 35 000 pieds correspond à une altitude stratosphérique « normale » pour les transporteurs. L’espace se définissait à une hauteur de 100 km environ, on reste encore loin d’atteindre les régions plus lointaines comme l’ionosphère. Or le développement du vol suborbital permettrait éventuellement d’endiguer les risques économiques de non rentabilité inhérents à un tel projet. Evidemment, le stade du brevet ne permet pas de conclure quoi que ce soit, d’autant que des brevets sont parfois déposés sans aucune suite. Il n’en reste pas moins qu’à l’heure où le numérique prend son envol pour s’installer dans les avions et à l’heure où l’Europe, et donc la France, souhaite concurrencer efficacement les Etats-Unis (ce qui se produit déjà dans le secteur spatial), le prototype breveté d’EADS est à suivre du coin de l’œil puisqu’il permettrait d’ouvrir d’éventuelles perspectives de croissance, sous réserve bien sûr de prendre un risque non négligeable.

Bertrand PLAU: Aujourd’hui le réel se confond avec l’imaginaire, et cette peinture du monde est devenue possible grâce au numérique. Engagé dans un droit qui n’existe officiellement pas, j’ai pour seule ambition la compréhension, voire l’anticipation de ce nouveau monde digital qui, s’il peut contribuer à l’accomplissement de grandes choses, peut également servir de plus sombres desseins

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