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Axelle Lemaire, secrétaire d’État au numérique, portant la “loi pour une République numérique.” (Source de l’image : AFP PHOTO / DOMINIQUE FAGET)

“Cette étape de cocréation, c’est de la démocratie contributive” souligne Axelle Lemaire secrétaire d’État au numérique à propos de la “Loi pour une République numérique.” C’est la première fois qu’un projet de loi bénéficie d’une consultation publique en France. Que contient ce projet de loi et qu’a apporté la vision des citoyens à ce projet?


“Consultation terminée. (…) Merci à tous d’avoir contribué.” C’est ce qu’on peut lire sur le site du projet de loi https://www.republique-numerique.fr, porté par la secrétaire d’État au numérique, Axelle Lemaire.
En effet, cette “Loi pour une République numérique” aux 30 articles, a été dévoilée le 26 septembre dernier par la dite secrétaire d’Etat et le Premier Ministre Manuel Valls. Son processus collaboratif s’est achevé le 18 octobre dernier, un processus inédit en France qui avait déjà été pratiqué en Islande. Cette loi vise à moderniser les lois en encadrant la société numérique.
À noter que l’axe économique, notamment les questions d’économie collaborative, est absent de la loi. Il sera traité dans la loi Macron 2. Axelle Lemaire précise cependant que sa loi est un “texte qui construit les bases structurelles d’une économie de la donnée”.
“Un service public de la donnée”
Le premier axe concerne l’ouverture des données publiques, qu’on appelle  “open-data.” Cela signifie que les données de l’Administration vont devoir être accessibles gratuitement à tous.
La création d’un “service public de la donnée” est aussi prévue pour  “définir des formats et des standards de qualité pour que ces données soient accessibles et réutilisables.”
Absent du projet mais annoncé par Axelle Lemaire, le service public de la donnée pourrait se concrétiser par une fusion entre la CNIL (Commission Nationale de l’informatique et des libertés) et la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs).
Selon la proposition d’Axelle Lemaire, la nouvelle commission aurait comme point central “la libre accession aux informations sur les personnes et les administrations.”
La question des données à caractère personnel
Le deuxième axe concerne la protection des individus dans la société numérique, c’est à dire le renforcement de la protection de leurs données à caractère personnel. Il est l’axe le plus conséquent en terme d’annonces clés.
Le principe de neutralité du net figure dans cet axe comme “le traitement égal et non discriminatoire du trafic par les opérateurs dans la fourniture des services d’accès à Internet.” C’est l’ARCEP qui sera chargé de veiller au respect cette neutralité.
Le principe de loyauté des plateformes s’inscrirerait aussi dans cette loi. Il obligerait ainsi les plateformes en ligne à “délivrer une information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d’utilisation du service” ainsi que les “modalités de référencement, de classement et de déréferencement.”
Concernant la protection accrue des données, il y aura un droit à la portabilité des données d’un service en ligne à un autre et surtout un “un droit à l’oubli et à la libre disposition de ses données pour tous.” Cette notion de droit à l’oubli serait accélérée pour les mineurs, on parle aussi de droit à l’effacement dans la loi. Une autre notion phare est présente : le droit à la mort numérique. Il se définit par des “directives relatives à la conservation et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès.”
Le principe du secret des correspondances devrait être appliqué aux correspondances numériques. Il prohiberait donc l’analyse automatique des contenus à des fins publicitaires.
Il est aussi question d’un droit à l’auto-détermination informationnelle, principe se concrétisant par le “droit de chacun de décider de la communication et de l’utilisation de ses données à caractère personnel.”
La loi prévoit l’extension des missions et de pouvoir de sanction de la CNIL (ou l’organe fusionné avec la CADA).
En effet, les entreprises qui violeront les lois françaises devront payer jusqu’à 3 millions d’euros ou 5% de leur chiffre d’affaires global.
L’organe compétent sera obligatoirement consulté pour tout projet de loi ou décret contenant des dispositions relatives à la protection ou au traitement des données à caractère personnel.
Enfin un troisième axe délimite le développement de l’accès à tous au numérique, notamment les personnes âgées. Il y est aussi question de l’accessibilité des personnes sourdes et mal entendantes aux services téléphoniques des administrations entre autres.
Enfin, l’article 30 affirme le maintien temporaire de la connexion internet en cas de non-paiement des factures pour les personnes les plus démunies.
20.000 citoyens et 136.000 votes au coeur du projet
La création du texte réside dans une innovation démocratique nouvelle. Les citoyens ont pu contribuer directement à ce projet par des commentaires et des votes.
Concrètement, la question posée pour chaque article du projet de loi à l’internaute était : “Pensez-vous que cette proposition permet d’atteindre les objectifs présentés dans l’explication de l’article ?” Il y avait ensuite trois propositions pour voter : “D’accord”, “Mitigé”, “Pas d’accord”. Plus de 20.000 citoyens ont participé à cette loi avec 136.000 votes et 8.000 contributions.
Plus de 4.000 votes positifs pour un article additionnel sur l’instauration d’un cadre juridique stable pour les compétitions de jeux vidéos e-sport.
Plusieurs propositions ont été plébiscitées comme  “un e-testament”, “un compte unique des services administratifs pour chaque citoyen” ou encore “un service public de l’identité numérique”. L’utilisation des logiciels libres dans les écoles, universités et administrations figure dans plusieurs propositions souhaitées par les citoyens. L’interdiction de la vente liée entre ordinateur et système d’exploitation est aussi une proposition voulue. En revanche, certaines propositions ont été rejetées comme le vote par internet.
Si ces propositions sont compatibles avec le projet de loi du gouvernement et qu’elles recueillent assez de votes, elles pourront être intégrées au texte final. Le Ministre de l’Économie et le Premier Ministre ont promis d’intégrer les propositions les plus populaires. Les conditions d’intégration sont le respect de la philosophie du texte et la validation sur le plan technique et juridique (national et européen).
Puisque les internautes font et défont les propositions des autres internautes, c’est aussi potentiellement le cas pour les articles de la dite loi.
Suppression d’articles par les citoyens ?
Deux articles du projet de loi ont été largement rejetés par les citoyens. Le premier est l’article 27 qui autoriserait le paiement par SMS, rejeté par 61.3% des votants. Le second est l’article 29 qui veut imposer aux administrations d’afficher une mention visible sur leur site précisant leur niveau de conformité aux règles d’accessibilité aux personnes handicapées, rejeté par 53% des votants.
On peut cependant nuancer cette avancée consultative par l’absence de consultation pour une loi récente : la “loi renseignement” de 2015, portant en partie sur le numérique. En effet, cette loi légalise par exemple les boîtes noires, procédé très controversé en terme de vie privée, ce qui est assez contraire au projet de loi, tant sur le fond que sur la forme.
Après cette consultation virtuelle, ce sera donc à Axelle Lemaire de recevoir les auteurs des propositions pour débattre de leur application et de réfléchir aux rejets de certains articles. Le texte de loi final sera ensuite publié et entrera en première lecture au Parlement début 2016.
Il nous reste donc à patienter pour voir si cet élan démocratique sera finalisé dans la loi.
MAJ 06/11: Le texte final a été présenté par Axelle Lemaire le 6 novembre 2015 et intègre 10 nouveaux articles dont 5 articles issus de la consultation citoyenne notamment le e-sport. Il sera présenté le 9 décembre en Conseil des ministres.
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Charles-Antoine Jaubert – Etudiant en Master 2 Droit de l’économie numérique à l’Université de Strasbourg. Juriste, passionné par le droit des nouvelles technologies et les questions relatives aux données personnelles, réseaux sociaux, médias et musique en ligne.