Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet dernier, un accord a été trouvé concernant la neutralité d’Internet, au sein du projet de règlement européen « établissant des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l’Europe un continent connecté » du 11 septembre 2013. Longuement débattu, ce sujet divisait le Parlement, ardent défenseur du principe de neutralité, et le conseil des ministres, moins enclin à consacrer une neutralité absolue de l’internet.

Article 6 - Guillaume ANGELI

Qu’est-ce que la neutralité du net ? Le concept est né en 2003, formulé par le professeur de droit américain Timothy Wu. C’est un principe de régulation des services de communications électroniques selon lequel internet est un bien public, et son universalité doit donc être garantie. La neutralité vient donc empêcher toute discrimination visant à écarter cette universalité.

Il est intéressant de noter que les Etats Unis ont d’ores et déjà consacré cette notion, puisque la Federal Communications Commission a reconnu l’Internet comme un « bien public », ce qui revient à déclarer Internet neutre.

De nombreux opérateurs de communications électroniques sont contre cette neutralité. En effet, certaines prestations numériques comme le streaming, le téléchargement de fichiers lourds, et plus généralement toute diffusion d’œuvre audiovisuelle sont gourmands en bande passante. Les opérateurs doivent donc adapter leurs réseaux, et souhaitent faire contribuer les offreurs de contenus numériques à l’amélioration des « tuyaux ».

Dès lors, il n’est pas étonnant que l’Office des Régulateurs Européens des Communications Electroniques ait constaté des filtrages de la part des opérateurs, lesquels exigent parfois une participation à l’établissement d’un service de qualité. Ce genre de pratique est ouvertement discriminatoire, puisque reposant sur l’examen approfondi des paquets transitant par les réseaux. Ceci est ouvertement pratiqué par tous les opérateurs.

Alors comment garantir la neutralité d’Internet ? En droit français, aucun texte ne consacre explicitement la neutralité de l’Internet, tout au plus voit-on émerger certains principes de neutralité technologique en droit de la communication audiovisuelle.

L’accord issu des négociations entre le Parlement européen, le conseil des ministres et la Commission européenne ne souhaite pas consacrer la terminologie « neutralité de l’Internet », mais parle plutôt dans son article 3 de l’Internet ouvert, ou « Safeguarding of open internet access ». Selon cet article, les fournisseurs de communications électroniques au public doivent traiter tout contenu de manière égale, sans discrimination, restriction ou interférence. Plus spécifiquement, les fournisseurs de communications électroniques au public ne doivent pas bloquer, ralentir, altérer, restreindre, interférer, dégrader ou traiter de manière discriminatoire tout contenu numérique.

Il est donc aisé de constater que les opérateurs ne peuvent ainsi plus mettre en place de filtrage, ni traiter les fournisseurs de contenus de manière discriminatoire. L’Internet ouvert est donc fidèle à l’Internet neutre.

Néanmoins, les fournisseurs de communications électroniques peuvent, de manière exceptionnelle, dans certains cas concernant une gestion raisonnable du trafic, comme en cas de congestion, filtrer le réseau et prendre les mesures nécessaires. De plus, une exception est faite pour les services « optimised for specific contents », ou services spécialisés, pour lesquels l’optimisation est absolument nécessaire. Ce genre de services peut être favorisé, si ce n’est pas au détriment des autres utilisateurs. Il s’agit par exemple de services tels que Netflix, qui sont des services payants pour le consommateur.

Le constat est donc que le texte actuel est, comme nombre de compromis, un compromis d’équilibre, lequel , sans parler de neutralité, consacre la notion d’Internet ouvert et la protège, tout en permettant certains ajustements, qui vont dans le sens de ce qui était réclamé par les opérateurs.

Mais au-delà de l’avis des Institutions Européennes et des opérateurs, que pense l’internaute de la neutralité du net ?

Une étude de l’ORECE (l’organe des régulateurs européens des communications électroniques, dont l’ARCEP est membre) a révélé que l’utilisateur final choisit d’abord son fournisseur Internet sur le prix, la quantité maximum téléchargeable et la qualité du streaming vidéo viennent après. Les usagers interrogés se disent prêts à accepter des performances bridées d’Internet en échange d’un prix moins élevé.

Mais paradoxalement, l’échantillon de personnse interrogées refuse catégoriquement que son débit internet et a fortiori la vitesse sur certaines applications soient bridés par rapport à d’autre site.

Ces utilisateurs voient l’accès à Internet comme un droit fondamental, dénué de toute connotation commerciale, d’innovation ou de concurrence, les conséquences d’un bridage d’Internet sur ces facteurs ne les touchent pas.

Faut-il dès lors former les internautes afin qu’ils puissent choisir leur opérateur de façon éclairée ?

Au sujet de cette interrogation, la Commission prône le « laisser faire », de façon à responsabiliser l’internaute, du moment qu’une information transparente, complète et claire lui est donnée.

Il est certain qu’internet est également une affaire d’expérience personnelle, bien que l’utilisateur se trouve être dans une situation de « consommation », les usagers peuvent, et doivent, arbitrer eux mêmes le débat sur la neutralité du net et développer une utilisation responsable de ce réseau.

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Etudiant en Master 2 Droit de l’économie numérique et titulaire d’un Master droit de l’entreprise et des affaires obtenu à l’Université de Montpellier. J’ai développé au cours de ma formation juridique un intérêt particulier pour le fonctionnement, l’utilisation et l’évolution des NTIC ainsi que les questions juridiques que cela soulève.
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