« Non mais quel bordel », c’est à peu près ce qu’on se dit quand la première volée de satellites tombe sur la navette spatiale du film Gravity (le spoil s’arrête là). Outre le mitraillage d’effets spéciaux que nos mirettes reçoivent par minute, la problématique (très) indirectement soulevée par le film est pourtant d’actualité : nos satellites prennent progressivement le rôle de véritables poubelles spatiales. En dépit cet état des lieux, le problème continue de persister malgré le fait que le numérique soit toujours plus gourmand en consommation de lanceurs spatiaux. CleanSpace One propose en conséquence le nettoyage des débris spatiaux.

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Attrapez-les tous !
CleanSpace One est un projet mis en place conjointement par l’école polytechnique fédérale de Lausanne et le centre spatial suisse. Il s’agit du nom donné à un petit satellite (30 centimètres de long sur 10 de large) dont la mission est la désorbitation de cibles spatiales. Le principe est en soit relativement simple : une fois CleanSpace One lancé, ce dernier ira se stabiliser autour de sa cible, l’accrochera avec sa pince géante avant d’entamer la désorbitation de ce dernier. Pour rappel, lorsqu’un satellite ou tout objet spatial est mis en orbite, cela signifie qu’il va décrire une trajectoire continue autour de la planète : le fait de désorbiter ne signifie pas l’envoyer dans des orbites lointaines, mais au contraire le ramener vers l’atmosphère terrestre.
J’en vois certains qui commencent à ronger leurs ongles à l’idée d’un satellite lançant un autre à pleine vitesse suborbitale en direction de la Terre. C’est pourtant le but de la manœuvre puisque, suite à une désorbitation réussie, le contact dans l’atmosphère terrestre augmentera la température (due aux frottements de l’air) de plus de 1000 degrés Celsius. Il y a donc très peu de risques à ce qu’une telle manœuvre provoque une collision, d’autant que CleanSpace One n’a pas pour ambition de s’attaquer à n’importe quel débris spatial. A ce titre, nous rappellerons que le nombre de satellites actuellement comptabilisés en orbite (environ de 7000) ne permet pas un nettoyage d’une telle ampleur (c’est sans compté le nombre de débris spatiaux actuellement recensés dont le nombre avoisine les 110 000).
Pourquoi nettoyer l’espace ?
La question peut en étonner certains, mais après tout il n’y a pas d’atmosphère dans l’espace, pas d’écosystème… l’espace est vide (je m’excuse par avance pour l’énoncé de cette aberration volontaire auprès de tous les férus de sciences). Alors pourquoi se lancer dans une opération de nettoyage stellaire ? La réponse est multiple, et tient dans un premier temps dans des considérations de sécurité civile. En effet, un satellite usagé, dont le contrôle a été perdu, qui a été endommagé, ou tout débris spatial classifié comme tel comporte un risque de retomber dans l’atmosphère terrestre sans pour autant être désintégré (pour CleanSpace One, la rentrée atmosphérique est contrôlée pour assurer la désintégration, contrairement à des débris trop imposants dont la désintégration serait incomplète). Le risque est donc majeur, notamment lorsqu’on sait que de nombreux satellites sont équipés de matières radioactives.
De plus, en 2015, le Green IT est une réalité et plus seulement une simple mouvance. Le fait de prendre en compte l’impact environnemental lors de la mise sur le marché de produits numériques doit, pour être totalement efficace, être transposé jusqu’au plan spatial. En outre, le nombre de satellite de basse orbite (généralement utilisés dans le domaine des NTIC) risque de drastiquement augmenter d’ici à 2020. Il reste cependant regrettable que la technologie de la propulsion électrique ne puisse pas s’appliquer à CleanSpace One, cette dernière restant trop anecdotique pour fournir la puissance nécessaire à la désorbitation. En effet, grâce à la réduction de la taille de la charge utile embarquée rendue possible par la propulsion électrique, CleanSpace One aurait pu être lancé en même temps qu’un autre satellite, et ce d’autant plus que les récentes têtes de fusée Ariane permettent d’accueillir jusqu’à deux petits satellites pour un seul lanceur. Cependant, la popularité de la propulsion plasma auprès d’autres satellites pourrait permettre ce double lancement, et donc rendre économiquement viable le nettoyage de l’espace.
Vous vous rappelez l’anecdote sur Gravity ? Et bien cette anecdote a existé (certes à une échelle bien plus réduite). En effet, en septembre 1997, trois cosmonautes de la station « Mir » avaient été dans l’obligation de trouver refuge dans un module de secours Soyouz à cause d’une arrivée un peu trop proche d’un satellite américain. Gravity soulève indirectement ce problème de manière visuelle, et amène à un autre constat : le bilan financier d’une pollution spatiale à outrance peut être théoriquement très lourd. En effet, malgré une surveillance constante des débris par radar et à chaque lancement de navette spatiale, endommager un satellite est très aisé puisqu’un simple choc sur ses panneaux solaires (conçus, sans rentrer dans les détails, en laboratoire scientifique avec une extrême précision) peut suffire à le rendre hors d’usage. Entre les coûts de lancement supplémentaires des nettoyeurs spatiaux (tant humains que financiers) et le risque de dégradation, voire de destruction d’un satellite en état de fonctionnement, la balance est instable et complexe.
La naissance d’éboueurs stellaires ?
CleanSpace One n’a pas encore été mis en orbite : son lancement est prévu aux alentours de 2016. Cependant, d’autres projets de nettoyage au-delà de l’ionosphère existent, mais ils relèvent encore aujourd’hui de la véritable science-fiction. On peut citer à cet effet le projet « Orion ». Il s’agit d’un faisceau laser dont le rôle est la désintégration partielle à longue distance des débris spatiaux afin de désorbiter ces derniers. Je vous laisse imaginer les coûts de réalisation titanesques d’un tel projet, notamment en termes de puissance énergétique requise. Un autre projet consisterait dans l’envoi d’une navette spatiale dotée d’un bras articulé spécialement conçu dans le ramassage des débris. Là encore, l’opération est à haut risque, notamment pour les astronautes qui seraient exposés à de hauts degrés potentiels de matière toxique. CleanSpace One peut donc apparaitre comme le projet le plus viable. Avec l’augmentation constante des besoins matériels pour le numérique, avec des projets de taille comme la couverture réseau planétaire, le marché du satellite est dans l’obligation d’être régulé par toutes ces considérations. Il ne reste plus qu’à espérer le succès de ce projet et l’intérêt qu’il va susciter chez les lanceurs spatiaux.
Bertrand PLAU: Aujourd’hui le réel se confond avec l’imaginaire, et cette peinture du monde est devenue possible grâce au numérique. Engagé dans un droit qui n’existe officiellement pas, j’ai pour seule ambition la compréhension, voire l’anticipation de ce nouveau monde digital qui, s’il peut contribuer à l’accomplissement de grandes choses, peut également servir de plus sombres desseins

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