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Dans tous les aspects de la vie courante, le numérique est devenu essentiel pour s’intégrer rapidement à la société. Que ce soit par les réseaux sociaux, par les sites internet permettant de répondre aux offres d’emplois ou encore par la dématérialisation des démarches administratives, le numérique est partout tout en étant le principal facteur de croissance – jusqu’à un quart de la croissance du PIB français. Or, il y a un décalage entre cet état de la vie civile et le milieu pénitentiaire qui reste hermétique au numérique, alors même que c’est le secteur qui a le plus besoin d’insertion dans la vie professionnelle et sociale.
Explications et état des lieux.

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On peut faire remonter le premier contact du numérique et des technologies de télécommunication avec la prison à Robert BADINTER, alors Garde des sceaux, qui permet l’installation de télévisions dans les lieux de détention en 1985. Bien entendu à l’époque cette autorisation provoque un tollé dans l’opinion et l’opposition, estimant que ce service est un luxe, alors même qu’il est payant – 8€ par mois et par détenu en tarif unique depuis 2010 – et ce même si la cellule de 9m² est occupée par plusieurs personnes… mais les questions que soulèvent cette réaction déjà ancienne à l’entrée de la technologie en prison est révélatrice de l’ambigüité qu’entretient la société avec ses lieux de détention : est-ce un lieu pour punir ? Pour redresser ? Pour réinsérer ? Plus spécifiquement, on peut s’interroger sur l’utilité du numérique en prison en tenant compte des risques engendrés. Mais, c’est également un formidable outil de réinsertion qui permettrait de décloisonner les lieux d’enfermement et de réduire la récidive.
La réinsertion par le numérique
Cette question de la réinsertion concerne principalement l’accès à internet qui, contrairement à la télévision ne réduit pas le détenu à un simple spectateur passif du monde extérieur. En effet, internet est d’abord un outil d’ouverture qui peut servir à la réinsertion du détenu lors de sa libération.
L’arrivée d’internet en prison sera en effet porteur de nombreux avantages, comme le souligne le contrôleur général des lieux de privation de liberté, institution indépendante chargée de l’examen des conditions de détention,  Jean Marie DELARUE dans ses avis des 10 janvier et 20 juin 2011 concernant l’informatique et les téléphones mobiles.
D’une part, à l’heure où les travailleurs sociaux, déjà en sous effectif, ploient sous le nombre de détenus – record au 1er juillet 2013 avec 68 569 personnes incarcérées pour 57 320 places disponibles, soit un taux d’occupation de 118% – internet et les moyens informatiques pourraient pallier à ce problème et permettre une meilleure réinsertion dans la vie active. A titre d’exemple, on peut facilement concevoir qu’il est bien plus efficace pour un détenu d’aller directement sur le site de pôle emploi plutôt que d’essayer de prendre rendez vous avec un conseiller, qui de toute façon sera déjà débordé et ne pourra pas exercer un accompagnement individualisé efficace.
Par ailleurs, comme pour l’arrivée des téléviseurs, internet sera un facteur d’apaisement dans le monde carcéral. En effet, il constitue une soupape de pression qui peut permettre de diminuer une partie des tensions liées à l’enfermement. Certains détenus peuvent être enfermés jusqu’à 22h sur 24 dans leurs cellules, ce qui peut aboutir à une certaine instabilité psychologique… et donc une recrudescence des violences si rien n’est fait.
Parallèlement, cette ouverture pourrait constituer une opportunité non négligeable pour les entreprises. En réalité, le rééquipement des prisons serait un chantier de grande ampleur et ambitieux. Il faudrait assurer l’entretien mais également et surtout la sécurisation des lignes nouvellement créées. Autant d’enjeux, où les entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies pourraient faire preuve de créativité pour envisager de nouvelles solutions.
Toutefois, l’administration est encore très frileuse quant à l’arrivée d’internet en prison. En effet, cette arrivée n’est pas sans risque, notamment du fait de la possible consultation de sites internet dits extrémistes ou de fabrication d’armes artisanales. Actuellement, quand un détenu veut accéder à un site internet, il en fait la demande à l’administration qui précharge le site sur un ordinateur contre paiement pour le service, il n’y a donc pas de véritable accès internet à proprement parler étant donné que toutes fonctionnalités d’actualisation et d’interaction sont coupées.
Il serait peut être bon de s’inspirer d’une initiative belge qui consiste à mettre au point un « cloud » de prison, c’est-à-dire un accès restreint et contrôlé à internet. Ce développement est d’autant plus urgent que les détenus ont déjà accès à internet par des moyens détournés, notamment les téléphones portables.
Le numérique, nouveau clandestin des prisons

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Un constat : les smartphones sont tout à fait courant en prison. En témoigne il y a quelques jours la vidéo diffusée sur Youtube d’un harlem shake réalisé dans le centre de détention de Montmédy.
Or, en l’état, le téléphone portable est strictement interdit par l’administration pénitentiaire[1]. De plus, le proche qui tente de faire passer un portable à un détenu lors d’une visite risque de se voir retirer son permis de visite – comme Anne de Maistre, l’épouse de Patrice de Maistre, l’ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt en avril 2012. Pour joindre ses proches, un détenu doit payer ses minutes de communication directement auprès de l’administration pénitentiaire qui met à disposition des téléphones publics, avec une liste délimitée de numéros à appeler et des conversations écoutées et enregistrées.
Or, force est de constater l’inefficacité de cette interdiction à la vue des nombreux téléphones clandestins découverts régulièrement lors des fouilles des cellules. L’administration pénitentiaire se défend en prétendant que la fin des fouilles à nu systématiques depuis la loi de 2009 est responsable de cette situation. La majorité des portables sont pourtant passés non pas par les parloirs, mais soit par des projections depuis l’extérieur de la prison au dessus des murs, soit par des surveillants eux-mêmes.
Par ailleurs, ce problème persistant n’est pas sans avantage pour l’administration pénitentiaire et la police en général puisqu’il permet une surveillance accrue des détenus. Ainsi, à Clervaux un trafic de drogue dirigé depuis la maison d’arrêt a été démantelé grâce à la mise sur écoute d’un téléphone portable d’un détenu.
De plus, le portable est lui aussi un facteur de paix sociale, au même titre que la télévision, la drogue, ou encore internet. En effet, il n’est pas rare qu’un détenu ait sa propre page Facebook actualisée directement depuis la prison. Au même titre qu’internet, Jean Marie DELARUE est favorable à l’amélioration du système téléphonique carcéral, ce qui préviendrait également les phénomènes de racket.
Le côté obscur du numérique, ou la caméra devient Big Brother

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Le numérique facilite donc la surveillance individuelle mais aussi globale des détenus. Prenons l’exemple de l’architecture des prisons avec une évolution forcée sous l’impulsion du numérique. A l’origine, le modèle idéal de prison du début du 19ème siècle était le panoptique : une tour centrale où logeait l’administration pénitentiaire et qui observait sans être vue les cellules réparties en cercle tout autour de cette tour. Les surveillants pouvaient donc observer sans être vus.
Aujourd’hui, ce concept a pu voir sa concrétisation à la fois en prison, mais aussi dans la vie courante par la caméra de surveillance. En réalité, le panoptique devient technologique, ce qui a pour conséquence de raréfier les contacts humains entre détenus et surveillants dans les nouvelles. Si cela peut avoir l’apparence de plus de sécurité, les détenus souffrent alors d’un malaise qui se traduit par un repli identitaire défensif et une explosion de la violence à long terme. Et la surveillance des télécommunications n’arrange pas les choses.
Pour conclure ce bref tableau du numérique en prison, il faut bien voir que l’administration doit concilier le système numérique comme moyen de contrôle et le numérique comme outil de réinsertion. Certaines expériences sont en cours, mais elles sont encore largement insuffisantes et se heurtent à l’inertie de l’administration pénitentiaire qui a su développer une formidable capacité de résistance au changement. L’IPad en prison n’est pas pour demain !


[1] Article 39 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et Circulaire du 13 juillet 2009 relative à l’usage du téléphone pour les personnes détenues condamnées
 
DSC_0035Guillaume SAUTER
Etudiant en droit de l’économie numérique, europhile convaincu et concerné par la révolution numérique, les questions de cybersécurité, de protection des données personnelles et de sociologie humain-machine.
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A propos de Guillaume Sauter