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Selon l’arrêt Nikon, Cass. Soc. 2 oct. 2001, n° 99-42842 : Selon cette jurisprudence, tout salarié a le droit sur son lieu de travail au respect de sa vie privée, celle-ci impliquant le respect du secret des correspondances, y compris par email ; tout email ou fichier informatique, présent sur le poste de travail du salarié, et désigné comme étant « personnel », est soumis au respect de la vie privée et au secret des correspondances.
Mais on pourrait dire selon l’angle sous lequel on regarde l’affaire que la cour de Cassation a initié un revirement de cette jurisprudence dans un arrêt du 2 février 2011.
En effet, l’histoire débute alors qu’un employeur décide de rechercher sur la messagerie électronique de ses salariés un email disparu. Par hasard, il découvre un email d’une de ses employées dont l’objet, intitulé « Info », s’est avéré être pour le moins trompeur.
Suite à l’ouverture de ce courriel, il découvre que les propos tenus entre deux de ses salariés sont extrêmement virulents et visent à déstabiliser le fonctionnement même de l’entreprise.
 
A ce titre, l’employeur décide de licencier le salarié auteur de l’e-mail en se prévalant du contenu de ce dernier afin de justifier la faute grave.
Le conseil de prud’hommes ainsi que la Cour d’appel vont se prononcer en faveur du salarié, en faisant primer le droit au respect des correspondances et de la vie privée sur le lieu de travail. La Cour d’appel prend le soin de préciser que : « La liberté de ton et les outrances relevaient de la vie personnelle et intime à laquelle le salarié a droit même sur le lieu de travail » et que « les propos étaient destinés à rester entre les deux interlocuteurs et non pas à être diffusés, ils ne pouvaient donc avoir pour objet de nuire à l’entreprise ».
Les juridictions du premier degré sont donc restées dans la droite ligne de la jurisprudence traditionnelle, issue de l’arrêt Nikon du 2 octobre 2001, en jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
 
Devant la Cour de cassation, il s’agissait ici de savoir si un employeur peut se servir de propos tenus par un de ses salariés dans un courrier électronique pour mettre en place une procédure disciplinaire à son encontre.
 
Dans son arrêt du 2 février 2011, la Haute juridiction estime que le licenciement fondé sur le contenu du email litigieux était justifié puisque, l’e-mail ayant été ouvert pour des raisons légitimes par l’employeur (il avait comme objet « info » et non pas «  personnel »), et qu’il est en rapport direct avec l’activité professionnelle du salarié, il ne peut être considéré comme relevant du droit au respect de la vie privée.
La Cour en conclut que ce courrier électronique « pouvait donc être retenu au soutien d’une procédure disciplinaire ».
Dans une certaine mesure on pourrait dire que la haute juridiction change sa jurisprudence Nikon en acceptant le licenciement du salarié du fait d’un e-mail présent sur son poste de travail.
D’autre part, cet arrêt bien que novateur, reste cependant lui aussi dans la lignée de la jurisprudence Nikon ; en prenant le contrepied des juges du fond, la Cour de cassation ne remet pas fondamentalement en cause la jurisprudence précitée, elle cherche à l’affiner, à la préciser.
Les courriels ayant pour objet « personnel » ou « privé » relèvent toujours du secret des correspondances et donc du droit à la vie privée du salarié sur son lieu de travail.
Concernant les emails dont l’objet semble être en relation directe avec la vie professionnelle du salarié (ceux dont l’objet n’est pas « personnel » ou « privé » donc), ils peuvent être légitimement ouverts par l’employeur ; et leur contenu pourra éventuellement servir à engager une procédure disciplinaire à l’encontre de l’employé récalcitrant.
Et c’est sur ce dernier point que l’arrêt de la Cour de cassation précise la jurisprudence Nikon puisque désormais, dès qu’un courrier électronique sera susceptible d’être en rapport avec l’activité professionnelle du salarié, son caractère privé sera automatiquement évincé.
Ainsi, dès qu’un employeur voudra se séparer d’un de ses salariés, il devra prouver que l’objet intrinsèque du courrier électronique venant appuyer sa requête ait un lien avec l’activité professionnelle du salarié. Son ouverture pourra ainsi être légitimée et, si les propos tenus sont injurieux ou portent préjudice à l’entreprise, une procédure disciplinaire pourra être envisagée.
 
La jurisprudence Nikon, auparavant utilisée pour protéger les libertés fondamentales du salarié, pourra désormais être avancée par les employeurs  pour justifier un licenciement pour faute grave.

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